Paris et Lyon : deux CNSMD face à la quarantaine

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Paris et Lyon : deux CNSMD face à la quarantaine

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Comme celui de Lyon, le CNSMD de Paris ne rouvrira pas ces portes avant l'été, et doit adapter son enseignement au confinement
Comme celui de Lyon, le CNSMD de Paris ne rouvrira pas ces portes avant l'été, et doit adapter son enseignement au confinement
© Maxppp - maxppp

Emmanuel Macron l’a annoncé dans son allocution du 13 avril : les établissements d’enseignement supérieur ne rouvriront pas leurs portes avant l’été. Une épreuve pour les deux conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse, qui doivent s’adapter, sans transiger sur l’exigence.

Douze élèves, douze cours individuels chaque semaine, mais sur Skype, Zoom et Facetime. Le compositeur Frédéric Durieux, professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD) de Paris, envoie des partitions et des exercices d’analyse à ses étudiants, dont il reçoit, en retour, les maquettes de leurs travaux. « On les maintient en situation de travail car ils sont isolés, et parce qu’ils doivent continuer à se former », explique l’enseignant.

Faire cours, vaille que vaille

Clément Carpentier est responsable du département parisien des disciplines instrumentales classiques et contemporaines : avec 650 élèves et quelque 200 enseignants, il représente la moitié des effectifs de l’établissement. « On a demandé aux enseignants qu’ils aient un contact par semaine avec leurs élèves, explique-t-il. Certains font cours en direct, d’autres demandent qu’on leur envoie une vidéo et débriefent par téléphone ». Marc Coppey donne donc ses cours de violoncelle en ligne. « Mes élèves sont remarquables de réactivité. Ils m’ont joué des choses qui témoignaient qu’ils avaient gardé un rythme de travail assidu. Donner cours à distance est un pis-aller, la qualité sonore n’est pas bonne, mais c’est précieux, cela permet de rester en contact ».

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Pour certaines disciplines, comme le cours de lecture à vue, assuré par la hautboïste Hélène Devilleneuve, la logistique est lourde. En temps normal, la musicienne accueille une quinzaine d’élèves des classes de bois : flûte, clarinette, hautbois, basson et saxophone, où ils apprennent à déchiffrer et à transposer des partitions de n’importe quelle esthétique : « J’arrive toujours en classe avec des sacs remplis de partitions que je vais chercher à la médiathèque du CNSMD, raconte la musicienne. Par chance, j’ai fait un gros stock chez moi avant l’annonce du confinement. Chaque semaine, je scanne et j’envoie plusieurs extraits de partition commentés aux étudiants : c’est un travail énorme ». La musicienne, qui a partagé son quotidien de professeure confinée sur les réseaux sociaux, a reçu de nombreuses demandes de musiciens étrangers, désireux de suivre, eux aussi, à distance, ses cours de lecture à vue, qui sont une spécificité française.

Le collectif pénalisé

Si la continuité pédagogique des cours individuels est assurée, la logistique est plus compliquée pour les cours collectifs. « La musique d’ensemble est complètement pénalisée, insiste Mathieu Ferey, directeur du CNSMD de Lyon. Dans certains départements, c’est la colonne vertébrale de l’enseignement ». Dans certains départements, comme le fameux département de musique ancienne du conservatoire lyonnais, « on essaye de réinventer la musique d’ensemble en temps de confinement » explique Anne Delafosse, responsable du département. « Les clavecinistes enregistrent les parties de continuo et les envoient aux musiciens pour qu’il puisse jouer par-dessus. Par enregistrements interposés, ils arrivent à retrouver une certaine la manière de jouer ensemble ». 

En charge de l’enseignement polyphonique, l’enseignante a proposé à ses étudiants qu’ils chantent les uns sur les voix des autres, deux par deux. « Ça ouvre une certaine écoute. On saisit dans ce confinement l’opportunité d’inventer des manières de poursuivre le travail collectif. Mais ce n’est clairement pas idéal ». La musique ancienne, mais pas seulement : « La composition semble être un exercice très solitaire, mais l’expérimentation avec les instrumentistes manque cruellement à mes élèves », explique Frédéric Durieux. 

Difficile aussi, pour les futurs ingénieurs du son qui se forment au CNSMD de Paris, de se passer du terrain. Cyprien Matheux, 25 ans, est en quatrième année : « Nous avons beaucoup de cours théoriques les deux premières années. A distance, c’est possible de suivre. Mais les deux dernières années sont consacrées à la pratique : la prise de son, la direction artistique. Ce sont ces disciplines qui nous tiennent le plus à cœur et qui sont complètement pénalisées par la situation ! ». Si la visio-conférence convient à un cours individuel, cette solution manque de fluidité quand il s’agit d’un cours collectif : « On est face à un espèce de vide numérique, on se sent très seul en parlant, confie Martin Matalon. Toutes les cinq minutes je leur demande s’ils sont là. La réactivité n’est pas la même ». 

Mais, dans ces établissements où se côtoient des centaines de futurs professionnels, le collectif ne réside pas seulement dans les cours. « Dans le bâtiment du CNSMD de Lyon, il se passe plein de choses informelles, de l’ordre de la rencontre dans les couloirs, explique Mathieu Ferey. Ces moment-là, féconds, qui donnent souvent lieu à de beaux projets artistiques, n’existent plus. La vie de l’établissement est entre parenthèses ».

Danser confiné

Si les instrumentistes et les chanteurs ont dû s’adapter à de nouveaux outils pour suivre leurs cours, les danseurs, eux, doivent trouver de nouvelles méthodes de travail. Les départements d’études chorégraphiques des deux établissements ont mis un point d’honneur à continuer à former leurs étudiants. A Paris, 30 professeurs gèrent les 170 élèves des 12 classes de danse, à Lyon, ils sont 93 élèves. « Nous avons créé des barres [l’équivalent des gammes pour les danseurs NDLR] à réaliser avec les moyens du bord, à l’aide d’une table ou d’une commode, par exemple », explique Cédric Andrieux, directeur du département. 

Même nécessité d’adaptation à Lyon : « Pour beaucoup d’élève, c’est compliqué de danser dans leur petit appartement. Nous avons adapté les exercices et les cours pour les espaces réduits », raconte Kylie Walters, qui dirige le département. Séance de renforcement musculaire, visualisation mentale, de yoga : les deux conservatoires ont aussi déployé tout un arsenal pour permettre à leurs élèves danseurs de se maintenir en forme physiquement… et mentalement.

Bourses et numéro d’urgence pour les étudiants

Pour les deux établissements, suivre et soutenir les étudiants, parfois confinés dans des conditions difficiles – petits studios – et dans une grande précarité financière – petits boulots et contrats qui tombent à l’eau -, est crucial. Les deux CNSMD ont ainsi mis en place un système de bourses d’urgence pour aider les élèves les plus fragiles. « Les montants varient selon les cas, explique Emilie Delorme, la directrice du conservatoire parisien. Le service des bourses est très réactif et suit tous nos élèves : on a par exemple tout de suite aidé nos étudiants étrangers à regagner leur pays ». 

Orgue, piano, percussions : « Le conservatoire fermé, certains n’ont tout bonnement pas d’instruments pour travailler chez eux, raconte Clément Carpentier. Il a fallu les aider à acheter du matériel. » En plus de cette réponse financière, les parcs instrumentaux de Paris et de Lyon ont été grands ouverts aux étudiants le week-end précédant le confinement. Un soutien financier, mais aussi moral : « Les professeurs me signalent tout étudiant qui ne va pas bien, qui se sentirait isolé, ou serait malade », poursuit Clément Carpentier. Les étudiants peuvent aussi appeler, directement, les pôles santé des deux conservatoires. Une ligne directe précieuse en période d’anxiété sanitaire.

Une forte mobilisation étudiante

Les équipes peuvent quant à elle compter sur une forte mobilisation des étudiants. Sarah van der Vlist, 26 ans, est en master de piccolo à Paris, et prépare son CA. Elle a été élue représentante des élèves début mars : « Nous faisons remonter les problèmes à l’administration, explique-t-elle. Les doléances vont de petits soucis de facture instrumentale, à de réels besoins de bourse d’urgence, en passant par des problèmes de wifi ». 

La musicienne insiste sur la grande diversité de profil des élèves au conservatoire : « Âges, catégories sociales, nationalités… Entre un danseur de 15 ans et un thésard en musicologie, il y a un monde ! Le confinement impacte chacun de manière très différente ». L’heure est plus que jamais à la solidarité : le service audiovisuel du CNSMD de Paris a ainsi créé un petit guide PDF de la bonne prise de son chez soi, avec les moyens du bord, pour aider professeurs et élèves à mieux télétravailler. Une crise qui donne un coup d’accélérateur à la nécessité d’une solide représentation étudiante au sein de l’enseignement supérieur musical.

Concours d’entrée et examens, le nerf de la guerre

Pour les concours d’entrée, très attendus des musiciens français et étrangers qui veulent tenter d’entrer dans l’un des deux CNSMD, Paris et Lyon ne sont pas logés à la même enseigne : dans la capitale, le concours d’entrée des instrumentistes a eu lieu en février. Soulagement. Pour les autres disciplines, un report pendant l’été est envisagé. « Les étudiants investissent énormément ces concours d’entrée, c’est une grande étape pour eux, rappelle Emilie Delorme. On essaye de mobiliser tous nos moyens pour qu’ils se passent de façon équitable et dans de bonnes conditions ». 

A Lyon, la situation est plus compliquée. « Ils devaient avoir lieu en ce moment. On envisage des reports en juillet ou en septembre, confie Mathieu Ferey. Un premier tour sur vidéo est aussi à l’étude… » Une vidéo strictement encadrée et, pour les candidats retenus, une convocation début septembre. Là encore, le conditionnel est la règle. Car l’enjeu est de taille pour les élèves, mais également pour les deux conservatoires : un premier tour par vidéo pendant l’été leur éviterait de perdre trop de candidats. Concernant les examens, le contrôle continu sera privilégié dans les deux établissements sauf, à Paris, pour les passages de cycles. « Tout le monde s’accroche au maintien des récitals de fin licence et de master, explique Marc Coppey. Ce sont des rendez-vous extrêmement importants – et stimulants - pour les étudiants : un moment de bilan, avec des programmes passionnants ». Mais difficile, pour l’heure, de savoir si le déconfinement progressif permettra de constituer les traditionnels jurys d’examen.

Malgré les capacités d’adaptation des équipes, le manque à apprendre, pour les étudiants, est inéluctable. Pour Anne Delafosse, il ne faudrait en aucun cas que cette génération d’étudiants soit pénalisée : « Le confinement va laisser des traces dans les cursus. Les deux tiers d’un semestre sont hypothéqués. Nos élèves ne doivent pas être stigmatisés comme étant la promotion Coronavirus ». 

Certains enseignants ont du mal à réprimer leur colère : « Je ne comprends pas pourquoi l’enseignement primaire et secondaire peut reprendre progressivement à partir du 11 mai, et pas nous, confie une enseignante de Paris, qui n’a pas souhaité donner son nom. Ce sont des classes plus nombreuses que les nôtres ! ».

En plus de l’exigence artistique, solidarité et empathie sont plus que jamais de mise pour traverser la tempête.

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