Les grandes affaires criminelles lyonnaises au cinéma

Il n’a pas fallu attendre Grâce à Dieu de François Ozon en 2019 pour que les faits divers lyonnais s’emparent des films de fiction. Viol, pédophilie, banditisme, extorsion de fonds ou assassinat groupé d’une famille entière, Thérèse Raquin, Jean-Claude Romand, David Hotyat, Momon Vidal ou Toni Musulin ont tous fait l’objet d’un film. Passage en revue des plus belles crapules lyonnaises sur grand écran.

François Cluzet incarne Toni Musulin, convoyeur de fonds qui avait détourné 11,6 millions d’euros à bord de son fourgon à Lyon. Ici le long des entrepôts de la SNCF, à La Mulatière. © Wild Bunch Distribution

Toni Musulin à Confluence

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François Cluzet apparaissait déjà en ami de la famille dans L’Adversaire, doutant la moralité de ce vrai-faux médecin un peu trop discret et modeste pour être honnête… En 2012, on le retrouve dans le quartier de la Confluence encore en pleins travaux pour incarner Toni Musulin dans 11.6 de Philippe Godeau, le convoyeur de fond ayant réussi à extorquer 11,6 millions d’euros de butin, dont la dissimulation est restée un mystère.

Taiseux comme jamais, Cluzet lui prête sa gueule et sa rage sociale pour incarner la révolte d’une certaine majorité silencieuse, smicarde, mal payée pour protéger au péril de sa vie l’argent de ceux qui les exploitent. Tout entier à la cause du criminel, le film n’évite pas une certaine complaisance, notamment quand il s’agit comme lui d’être fasciné par l’argent facile et les Ferrari pour passer la frontière italienne. Mais reste un témoignage soigné d’un des derniers faits divers à Lyon à avoir fait la Une des journaux, magnifié par la musique des M83.

11.6, le hold-up du siècle. De Philippe Godeau (France, 1h42). Avec François Cluzet, Bouli Lanners, Corinne Masiero, Juana Acosta…

Le vrai-faux médecin assassin

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C’est l’un des grands films de Nicole Garcia, et un des grands rôles de Daniel Auteuil, sombre comme jamais. En 2002, la réalisatrice adapte L’Adversaire, le livre d’Emmanuel Carrère relatant l’affaire Jean-Claude Romand, vrai-faux médecin ayant assassiné toute sa famille au moment où celle-ci était sur le point de découvrir son mensonge de plus de 15 ans : il n’a jamais été médecin à l’OMS et a vécu en escroquant sa famille sous prétexte de l’aider, avant de la décimer.

Glaçant, le film de Nicole Garcia relate cette non-vie criminelle sur les aires d’autoroute entre Lyon et Genève, jusqu’au climax final, presque insoutenable, assassinant des enfants un à un à la carabine tandis que l’autre regarde les dessins animés.

Porté par la performance de Daniel Auteuil et la musique synthétique d’Angelo Badalamenti, L’Adversaire fait le portrait d’un prédateur passif, aussi aliéné émotionnellement qu’inséré socialement, qui ne supportera pas de voir son mensonge et sa vérité découverts. Comme dans le livre, Nicole Garcia traitera le plus précisément possible l’ensemble de ce fait divers vertigineux : Jean-Claude Romand a tenté de se suicider en brûlant sa maison après ses multiples assassinats, puis s’est converti à la religion catholique en prison.

En évoquant son chemin vers la foi à la fin de son film, Nicole Garcia ne savait pas qu’en 2019, Romand obtiendrait sa première demande de liberté conditionnelle 26 ans après les faits, dans l’abbaye des moines de la congrégation de Solesme, à Fontgombault dans l’Indre, où il vit aujourd’hui cloîtré, invisible, sous surveillance électronique. Il ne sort jamais, et a désormais l’interdiction de se rendre dans les régions de ses crimes, à commencer par la région Auvergne Rhône-Alpes, son principal théâtre macabre.

L’Adversaire, de Nicole Garcia (France, 2002, 2h09). Avec Daniel Auteuil, François Berléand, François Cluzet, Emmanuelle Devos, Géraldine Pailhas…

Daniel Auteuil interprète Jean-Claude Romand, vrai-faux médecin ayant assassiné sa famille en 1993. © Bac films

Tuerie au Grand-Bornand

C’est aussi la rage et la jalousie sociales qui habitent Possessions du réalisateur lyonnais Éric Guirado en 2012. Retour sur l’assassinat de la famille Flactif qui avait eu lieu une dizaine d’années plus tôt au Grand-Bornand.

Tourné à Albertville et Serre-Chevallier, on y croise Alexandra Lamy et Lucien Jean-Baptiste parfaits en contre-emploi, et surtout un Jérémie Renier plus qu’impressionnant en David Hotyat, assassin miné par son propre crime, bouffi jusqu’au malaise.

Possessions, de Eric Guirado (France, 2012, 1h38). Avec Jérémie Renier, Julie Depardieu, Lucien Jean-Baptiste, Alexandra Lamy…

Jérémie Renier dans la peau de David Hotyat, responsable du quintuple assassinat de la famille Flactif. © Ugc distribution

Ozon, plaise à Dieu…

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Lyon reste la capitale du polar même encore aujourd’hui et en 2019 c’est François Ozon qui défraie la chronique avec Grâce à Dieu, film-enquête relatant le parcours du combattant de l’association lyonnaise de La Parole libérée, luttant obstinément contre le silence qui entoure les victimes de pédophiles et particulièrement les nombreux scouts abusés par le père Preynat lorsqu’il était prêtre à Sainte-Foy-lès-Lyon.

Tourné clandestinement à Lyon au printemps 2018 pour échapper à toute possibilité de pression ou de censure, sorti avant la tenue du procès du cardinal Barbarin, la sortie du film sera plusieurs fois remise en question, avant de devenir un des plus grands succès de François Ozon, avoisinant le million d’entrées.

Avec le recul et à la revoyure, ce n’est pas tant un film à charge qu’une remarquable peinture sociologique du milieu catholique lyonnais, porté par un trio d’acteurs on ne peut plus crédible (Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Swann Arlaud), faisant une place singulière aux femmes (Josiane Balasko, étonnante en mère-courage qui veut aider son fils).

François Marthouret, acteur régulièrement invité aux Célestins, campe un cardinal Barbarin bluffant, à l’écoute on ne peut plus ambiguë. Mais c’est Bernard Verlet dans le plus mauvais rôle, celui du père Preynat, qui parvient lors d’une confrontation au commissariat avec Swann Arlaud à faire ressentir toute l’emprise du pédophile sur sa victime.

Grâce à Dieu, de François Ozon (France, 2019, 2h18). Avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud…

Melvil Poupaud interprète Alexandre, victime du Père Preynat et membre de l’association la Parole libérée. © Pandora Film Medien GmbH

Le « fou de Dieu »

On aurait tort de croire que la pédophilie est devenue un thème au cinéma de par l’actualité récente. En 1976, pour son troisième, c’est avec des dialogues particulièrement crus que Bertrand Tavernier abordait le plus odieux des crimes, en relatant la folle cavale de Joseph Vacher en Rhône-Alpes, ce « fou de Dieu » particulièrement obscène, multi-récidiviste à l’imagination morbide sans limite.

Entièrement tourné en Ardèche, le film ne se contente pas de rappeler l’horreur des crimes de Joseph Vacher (alias Bouvier dans le film), mais aborde aussi la question de la responsabilité pénale, des soins psychiatriques et de la folie du criminel au temps de la guillotine à la fin du XVIIIe siècle.

En plus d’un Michel Galabru bouleversant qui lui vaudra un César du meilleur acteur archi-mérité, on y découvre aussi une Isabelle Huppert dans un de ses tout premiers rôles, toute jeune maîtresse d’un juge sans scrupule qui profite d’elle au nom de l’hypocrisie des mœurs bourgeoises, pas forcément beaucoup plus civilisées que celles des criminels qu’elle prétend juger…

Le Juge et l’assassin, de Bertrand Tavernier (France, 1976, 1h50). Avec Philippe Noiret, Michel Galabru, Isabelle Huppert…

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Faites entrer l’accusé

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Bertrand Tavernier aura été un pionnier du cinéma social à la française, André Cayatte aussi. « Viol sur mineure avec préméditation, passible de la peine de mort », tels sont les faits selon l’accusation dans Verdict en 1974. Et c’est Jean Gabin en robe d’hermine qui les énonce dans l’enceinte du palais de justice du Vieux-Lyon, juste après avoir prononcé les mots fatidiques de sa voix de stentor : « Accusé, levez-vous ».

L’accusé, c’est le jeune homme bien sous tous rapports d’une grande famille italienne, André Leoni, et c’est sa mère, incarnée par Sophia Loren, qui va tout faire pour le sauver, y compris en multipliant les rendez-vous secrets avec le juge en marge du procès, sur les docks du port Edouard-Herriot, quitte à tenter de le corrompre…

Le crime paraît encore aujourd’hui des plus effroyables, mais à travers le face-à-face entre deux stars du cinéma à la papa des années 70, Cayatte s’intéresse avant tout aux failles humaines, à l’absurdité du système judiciaire, et aux erreurs possibles conséquentes à l’intime conviction. Les temps ne sont pas encore au féminisme et contre toute attente, le juge Leguen incarné par Gabin feindra le cynisme jusqu’à paraître plus corrompu et moins pantouflard qu’il n’en avait l’air. Il roule en 404 pour aller retrouver Sophia Loren dans sa BMW dans la nuit sur les hauteurs de Feyzin.

En filmant la grande bourgeoisie italienne de la famille Leoni, Verdict sera d’ailleurs un des rares films à avoir tourné une courte scène à l’Auberge de Paul Bocuse à Collonges-au-Mont-d’Or, avec Sophia Loren à table. Plus tard, elle remerciera son avocat et sortira en larmes du palais de justice aux 24 colonnes, sous les crépitements des flashes des journalistes. Elle ne sait pas encore à quelle erreur judiciaire elle va être confrontée, le film se muant en tragédie dans un dernier coup de théâtre.

Verdict, de André Cayatte (France, 1972, 1h35). Avec Henri Garcin, Sophia Loren, Jean Gabin…

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Le crime au féminin

Laurent, camionneur italien, ravit le coeur de Thérèse, qui se meurt d’ennui auprès de son mari. © Studio Canal

Les femmes peuvent aussi être de grandes criminelles, à l’image de Simone Signoret qui avait incarné Thérèse Raquin dans le film de Marcel Carné en 1953. Tenancière d’une petite boutique de la rue Saint-Jean, sous le joug d’une mère mutique handicapée qui la mitraille du regard, elle tentera de s’émanciper en prenant un amant, le poussant jusqu’au crime.

Simone Signoret ne s’est jamais souciée du qu’en dira-t-on en choisissant ses rôles, et encore jeune et belle, elle n’hésite pas à endosser les habits d’une criminelle au regard glaçant, même si Carné reste fidèle à l’esprit du roman de Zola en insistant avant tout sur la misère sociale qui, après-guerre, touchait particulièrement les femmes. En plus d’avoir été tourné sur les pavés de la rue Saint-Jean, Thérèse Raquin est aussi un des premiers films tournés à Lyon dans lequel on peut voir, déjà, les berges du Rhône envahies par la marche des passants…

Thérèse Raquin, de Marcel Carné (France, 1953, 1h43). Avec Simone Signoret, Raf Vallone, Jacques Duby…

Thérèse Raquin travaillant dans une mercerie lugubre du Vieux Lyon. © Studio Canal

Gangster Mania

C’est aussi du côté du Vieux Lyon et de la colline de Fourvière que se situe principalement Les Lyonnais d’Olivier Marchal, une des plus grosses productions jamais tournées à Lyon, avec Gérard Lanvin pour incarner Momon Vidal, la plus célèbre figure du banditisme à la lyonnaise. Lunettes et vitres fumées, grosses berlines, scènes de fusillades et de course-poursuite en pleine ville, cette saga du gang le plus connu de la ville est un vrai film d’action à l’américaine made in Lyon, sans le moindre temps mort.

Gérard Lanvin et Tchéky Karyo, dans Les Lyonnais. © Gaumont Distribution

Deux autres films s’intéresseront de façon plus intimiste à la mafia locale : François Cluzet, toujours lui, retrouvait son ami Guillaume Canet pour incarner les frères Papet, flic et voyou des années 70, dans Les Liens du sang de Jacques Maillot (2008), avec moult bacchantes postiches et pattes d’eph’.

Daniel Auteuil et Laurence Côte, face à Perrache, dans Les Voleurs. © DR

Et c’est André Téchiné, dans un de ses rares polars, certes sentimental, Les Voleurs à la fin des années 90 qui se documentera sur le milieu de la mafia marseillaise remontée à Lyon, allant jusqu’à tourner, en plus d’un face-à-face au commissariat de La Duchère, une courte scène sur les îles du Rhône en face de Vernaison, haut lieu de planque à l’époque.

Si Catherine Deneuve y joue une prof de philo amoureuse d’une petite frappe sur les bancs de la faculté du Rhône, c’est Daniel Auteuil qui incarne cette fois un flic désabusé devant faire son sale boulot. Après avoir tenu le rôle de Jean-Claude Romand dans L’Adversaire, comme Daniel Auteuil, il aura couvert à lui tout seul un des plus larges spectres du polar made in Lyon, genre inépuisable s’il en est.

  • Les Lyonnais, de Olivier Marchal (France, 2011, 1h42). Avec Gérard Lanvin, Tchéky Karyo, Daniel Duval…
  • Les Liens du sang, de Jacques Maillot (France, 2008, 1h42). Avec Guillaume Canet, François Cluzet, Clotilde Hesme…
  • Les Voleurs, de André Téchiné (France, 1996, 1h57). Avec Catherine Deneuve, Daniel Auteuil, Laurence Côte…
Catherine Deneuve, en prof de philo, aux côtés de Daniel Auteuil, en flic désabusé dans Les Voleurs. © DR

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