COVIDAir : des chercheurs lyonnais veulent mesurer le Covid... sur le principe d’un éthylotest

SCIENCES. Cela pourrait constituer une avancée majeure dans le domaine des tests dédiés au Covid-19. Depuis le mois d’avril dernier, un consortium de recherche, composé de plusieurs acteurs lyonnais et d’un fabricant suisse, ont lancé une expérimentation "grandeur nature" visant à détecter la Covid dans l’air expiré, grâce à un appareil fonctionnant sur le principe d’un éthylotest géant. Installé depuis quelques semaines au centre de dépistage de Lyon Gerland, ses travaux pourraient ouvrir la voie à une méthode beaucoup moins invasive que les prélèvements naso-pharyngés.
Grâce aux souffles analysés chez des patients Covid+ à travers un spectromètre de masse, le projet COVIDAir mené par des chercheurs lyonnais a réussi à modéliser la signature spécifique de l’infection.
Grâce aux souffles analysés chez des patients Covid+ à travers un spectromètre de masse, le projet COVIDAir mené par des chercheurs lyonnais a réussi à modéliser la signature spécifique de l’infection. (Crédits : DR)

Depuis quelques semaines, un nouvel appareil trône au cœur du centre de dépistage de Lyon Gerland. De la taille d'un réfrigérateur, il a une tout autre utilité : mesurer et analyser la composition de l'air expiré par les patients au sein d'un tube, selon un principe semblable à celui de l'éthylotest.

La méthode se veut aussi simple et rapide qu'un test d'alcoolémie, mais se pose comme une première mondiale à ce stade, car les scientifiques travaillent désormais à ce qu'elle puisse détecter, grâce à un moyen non-invasif, des patients positifs au Covid-19. Le tout avec un appareil existant et déjà commercialisé pour d'autres applications, liées à la qualité de l'air.

Concrètement, son principe n'est pas de reconnaître directement le virus, mais d'identifier les composants organiques, présents dans notre souffle, dont le comportement évolue lorsqu'ils se retrouvent en présence du virus. « L'air que nous expirons peut contenir jusqu'à plusieurs milliers de molécules, produites par notre métabolisme. Sa composition peut ensuite varier en fonction de notre état de santé, et notamment lors d'une infection virale comme celle du Covid, où nos cellules fabriquent des protéines virales et délaissent une grande partie de leurs activités normales », rappellent les scientifiques engagés dans le projet COVIDAir.

Ces chercheurs lyonnais ont donc fait un pari : pouvoir reconnaître et caractériser les molécules qu'une personne malade expulse, afin de mettre en place une cartographie qui pourrait devenir ensuite un nouvel outil de dépistage.

Avec un premier résultat qui pourrait être délivré en une dizaine de secondes seulement, et ouvrir ainsi la voie à différentes applications en conditions réelles, au sein de lieux très fréquentés comme les aéroports, salles de spectacles, etc.

Une modélisation de la signature du Covid

Mais pour l'instant, l'heure est encore à la finalisation de la cartographie et du modèle associé. Car ce projet, né seulement au printemps dernier en pleine pandémie, est porté depuis par un consortium d'acteurs de la santé et de la recherche lyonnais.

Avec parmi eux, des scientifiques de l'Institut des agents infectieux des Hospices Civils de Lyon (HCL), mais également de l'Institut de recherches sur la catalyse et l'environnement de Lyon (IRCELYON, CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1), de l'Institut des sciences analytiques (ISA, CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1) et du Centre international de recherche en infectiologie (CIRI - INSERM/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/ENS de Lyon), en collaboration avec le virologue lyonnais Bruno Lina.

Lire aussi : Covid-19 : La modélisation de deux chercheurs lyonnais qui prédit la seconde vague

« Nous sommes partis de l'existence d'une machine atmosphérique visant à mesurer la qualité de l'air et des polluants qui se retrouvent dans l'atmosphère, avec l'idée que de tels instruments pouvaient peut-être permettre d'identifier l'air expiré, à l'origine pour des applications liées à la cancérologie. Lorsque le Covid est arrivé, des discussions ont eu lieu avec des médecins des HCL avec l'idée d'essayer de faire quelque chose », confie Matthieu Riva, chercheur au CNRS de Lyon, au sein du laboratoire IrceLyon.

Pour cela, les scientifiques ont dû s'équiper d'un appareil dont ils connaissaient déjà les atouts : à savoir un spectromètre de masse, habituellement destiné à la mesure de la qualité de l'air, et fourni par le constructeur suisse Tofwerk.

Une aide de la Région et de l'Europe (dont le montant global n'a pas été dévoilé) a permis aux chercheurs de financer l'achat de cet équipement.

Une nouvelle utilisation pour un spectromètre existant

L'instrument, un spectromètre de masse de nouvelle génération, dont l'utilisation dans le monde médical n'avait pas encore été réalisée, a d'abord été livré à l'hôpital de la Croix-Rousse mi-mai, et a rapidement donné lieu à de premiers tests. Il affiche une sensibilité pour l'heure inégalée par d'autres instruments, puisqu'il permet d'isoler une molécule présente en très faible quantité, avec une sensibilité de l'ordre de la dizaine de partie par quadrillons (ppq).

« Nous avons mis en place un système afin que les patients puissent souffler dedans à l'aide d'un tuyau, mais sans modifier la composition de l'appareil en lui-même, avec une preuve de concept qui restait à faire dans le cadre de cette utilisation», explique Matthieu Riva.

Les scientifiques ont également développé une méthodologie en vue de collecter, caractériser et compiler les données présentes dans l'air expiré par les patients, à travers une cartographie puis un modèle mathématique, capable de s'appuyer sur différentes variables pour déterminer si un patient est négatif ou positif.

Le tout, en utilisant non seulement du traitement de signal par ordinateur ainsi que des algorithmes fondés sur de l'intelligence artificielle. En bout de ligne, une plateforme permettant de recueillir les données a également été co-développée avec le fabricant afin de faciliter l'utilisation de cet équipement.

De premiers résultats encourageants

Les premiers tests, menés sur 1.000 patients entre mai et septembre, auront déjà permis de confirmer qu'il existait bien une modification de la nature des particules expirées entre une personne saine et une personne Covid+ au sein des HCL, en parallèle aux résultats obtenus avec des tests traditionnels PCR.

« Nous avons observé que la présence de Covid perturbait fortement l'émission de certains composants, qui pourrait être plus ou moins exprimés », atteste Matthieu Riva. Avec, après quelques mois d'observation, un taux de fiabilité pour l'heure obtenu de 95% pour ce nouveau moyen de test (déployé en parallèle à des tests PCR).

Après un premier déploiement au sein des services de réanimation et d'infectiologie de l'hôpital de la Croix Rousse à Lyon, cet appareil vient d'être installé au centre de dépistage de Lyon Gerland pour une nouvelle phase de tests plus massive.

Objectif : parvenir à « recruter » jusqu'à 5.000 patients pour tester à la fois la spécificité des modèles obtenus, ainsi que leur robustesse. « Nous avions prévu au départ un seuil de 3.000 volontaires, que nous avons déjà atteint, et nous visons désormais les 5.000 personnes afin de tester plus largement notre modèle. Le recrutement de nouveaux patients se fait très rapidement et va même au-delà de nos espérances », ajoute le chercheur du CNRS.

Une première mondiale pour un tel échantillonage

Outre la reproductibilité et la fiabilité à large échelle, les chercheurs souhaitent également récolter des données supplémentaires afin de déterminer si certains paramètres pourraient influencer les résultats obtenus, comme la variation de la charge virale des patients, la présence d'autres pathologies virales proches du Covid, ou encore la dépendance aux réglages d'une machine en particulier.

« Nos travaux ont déjà permis de déterminer que la cartographie obtenue avec le Covid diffère significativement d'autres infections bactériennes par exemple, mais l'une des questions qui demeure sera de déterminer si la caractérisation d'autres pathologies plus proches pourrait être différente », expose Matthieu Riva.

Cette étude, financée sur les fonds propres des institutions partenaires avec une aide de l'accélérateur Pulsalys, mobilise actuellement 4 à 5 personnes à temps plein sur le site de Gerland, et devrait donner lieu à une publication scientifique.

« Il s'agit de la première fois que l'on déploie un tel instrument au sein d'une centre de diagnostic afin de réaliser des échantillonnages sur plusieurs milliers de patients, avec une combinaison de plusieurs savoir-faire associant différents domaines tels que la qualité de l'air, la virologie, etc », traduit Matthieu Riva.

Vers une nouvelle méthode de dépistage ?

Si l'objectif de cette équipe de recherche n'est pas de commercialiser la solution, mais bien d'étudier le fonctionnement d'une telle méthode, plusieurs pays, ayant eu vent de l'expérimentation en cours, aurait déjà affiché des marques d'intérêts pour l'appareil du suisse Tofwerk.

Lire aussi : Saint-Etienne, démonstrateur du nouveau test salivaire de la startup BioSpeedia

Etant donné que les données sont anonymisées et transitent directement par les HCL, les scientifiques s'attendent à ce que de premiers résultats définitifs soient connus d'ici quelques semaines. Avec, si le modèle est confirmé, une possibilité de déployer ensuite ce nouveau moyen de test dès l'été par les autorités sanitaires ou les collectivités qui le souhaiteraient.

« Pour l'heure, l'appareil tel qu'il est conçu peut coûter entre 200.000 euros pièce et davantage... Actuellement, il en existe une quarantaine à travers le monde, mais nous avons déjà modélisé des travaux qui démontrent que le niveau de fiabilité serait peu affecté par une réduction de la taille de l'équipement », ajoute Matthieu Riva.

Une réduction de la taille, et donc aussi possiblement du prix. Reste que le chercheur voit, comme première application possible, en priorité des cas d'usages à forts flux, comme le trafic présent au sein des aéroports, des hôpitaux ou encore de certains lieux publics, salles de spectacles, etc.

Avec, à terme, l'espoir que de telles cartographies puissent aboutir également à la détection d'un spectre plus large de pathologies respiratoires, voire même, de certains cancers.

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Commentaires 2
à écrit le 08/04/2021 à 6:14
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Vivre, et respirer, va vraiment devenir un enfer, comme nous l'a promis le nouvel ordre mondial.

à écrit le 07/04/2021 à 15:34
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Si les chiens entrainés arrivent à détecter certaines odeurs provoquées par covid, il y a de l'espoir. Les détecteurs technologiques sont-ils plus sensibles que les capteurs biologiques des chiens ?

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