Manger local. Élus, producteurs et distributeurs de Lyon mettent les bouchées doubles

© Susie Waroude

Le premier confinement a vu un véritable rush des Lyonnais vers les produits frais de proximité. Alors que les marchés et restaurants étaient fermés, les consommateurs se sont orientés vers les paniers préparés et autres livreurs citadins de fruits et légumes. Depuis, le soufflé est retombé, laissant la métropole de Lyon aux prises avec sa faible autonomie alimentaire : seulement cinq petits pour cent du contenu de nos assiettes proviennent de cette dernière. Lyon veut grimper à 15 %, tout en confortant l’avenir des agriculteurs et en apportant leurs produits dans les assiettes lyonnaises les moins aisées. Sacré défi.

Lyon aimerait s’extirper de ce paradoxe malaisant : alors même que son tissu agricole est riche (350 exploitants dans la métropole), la proportion d’aliments « de chez nous » qui garnissent les assiettes lyonnaises atteint péniblement les 5 %.

« Contrairement à d’autres villes, nous avons tout ce qu’il faut : de l’élevage dans les monts d’Or, des céréales dans la plaine de Jonage… Et pourtant nous exportons 95 % de ce que nous produisons et nous importons 95 % de ce que nous consommons. Ce que l’on produit ici peut monter à Rungis, être transformé ailleurs en Europe avant de revenir à Lyon !  », résume Gautier Chapuis, adjoint de la Ville de Lyon en charge de l’Alimentation locale et de la sécurité alimentaire.

Premier confinement, un boom en trompe-l’œil

Pourtant, les Lyonnais n’ont jamais été aussi avides de produits locaux. Les Amap cartonnent et pendant le premier confinement, les livraisons de produits frais en points relais ont explosé. Pour certains agriculteurs, ce fut un débouché salvateur alors que les marchés et les restaurants étaient fermés.

Une poussée de fièvre verte qui est retombée depuis, mais dont certains ont tenté de profiter… avant de s’y casser les dents, comme en témoigne Axelle Verniol, conseillère en stratégie commerciale, circuit de proximité et agritourisme à la Chambre d’agriculture du Rhône. « Lors du premier confinement, on a été beaucoup sollicités car de nombreuses start-up se sont développées, détaille la spécialiste, mais il y a tout un circuit logistique complexe à monter, et ces plateformes ont eu tendance à dériver car elles avaient du mal à se fournir localement, malgré l’affichage. Les gens se lassent de n’avoir qu’un choix réduit en hiver. Alors on a vite vu arriver des oranges et des bananes… »

De toute façon, même tous réunis, les producteurs du Rhône ne suffiraient pas à abonder hors confinement un tel surplus de demande. « Aujourd’hui, en produits frais, une métropole comme Lyon tient trois ou quatre jours, pas plus. Une simple grève des routiers peut nous bloquer ! », prévient la directrice adjointe du Centre de ressources de botanique appliquée de Charly, Sabrina Novak.

15 % des Lyonnais ne mangent pas à leur faim

La Métropole de Lyon s’était saisie du problème en 2018 sous David Kimelfeld, avec l’amorce du Patly, le Projet alimentaire du territoire lyonnais, dont était sorti un diagnostic qui faisait tinter trois alarmes : celle des 5 % d’approvisionnement local ; la perspective de voir 50 % des paysans partir à la retraite d’ici dix ans ; et une alerte sur la précarité alimentaire. En effet, un tiers des ménages déclarent ne pas avoir les moyens de se sustenter correctement et 15 % ne pas même pouvoir s’alimenter selon leur faim. Manger frais et local est donc encore trop une préoccupation de « riche ». Et trouver un moyen d’apporter ces produits dans les assiettes les moins aisées, une autre manière d’augmenter la quantité de produits lyonnais consommés sur le territoire.

C’est l’un des axes majeurs du projet repris aujourd’hui à son compte par la majorité écologiste, concrétisé par le dépôt, en avril, du Projet alimentaire territorial (PAT) et par une multiplication par quatre du budget alloué « pour atteindre les dix millions d’euros sous ce mandat sur l’agriculture et l’alimentation », souligne Jérémy Camus, vice-président de la Métropole à ces thématiques.

Déserts alimentaires

Pour atteindre les publics éloignés de l’assiette la plus saine, la Métropole compte d’abord s’appuyer sur l’existant et les structures de l’économie sociale et solidaire : l’association Vrac, les épiceries sociales, Épicentre dans le 8e« On y trouve des produits bio à des prix accessibles. Notre rôle est avant tout d’accompagner ces structures au modèle économique hybride, les aider à se consolider, se dupliquer, c’est ça l’enjeu », pointe Jérémy Camus.

Dans le même temps, la Ville fait de même : elle vient d’inaugurer son premier « pôle alimentaire » dans le 3e arrondissement. Il va regrouper côte à côte restaurant social, épicerie sociale et tiers-lieu d’activités autour de l’alimentation. Toujours pour apporter le « bien manger » pas cher aux plus précaires.

« Aujourd’hui, la filière repose surtout sur la banque alimentaire, où l’on peut déjà trouver du bio, précise Sandrine Runel, adjointe aux Solidarités. L’idée est de travailler avec des enseignes comme La Vie Claire ou Naturalia pour récupérer des invendus. Nous souhaitons aussi travailler avec les producteurs agricoles locaux de la métropole pour ériger des passerelles. »

Car même avec la meilleure des volontés, il n’est parfois physiquement pas possible d’accéder à des produits frais. La Métropole a donc entrepris de cartographier ses déserts alimentaires afin de savoir où mettre l’accent dans les futurs efforts de déploiement de ses structures de proximité.

Hubs de livraison

Car le transport est bien l’un des autres volets sensibles : « La logistique est un métier, notamment à Lyon, une grande ville dans laquelle il faut pouvoir rentrer, alors que les livraisons du dernier kilomètre y sont de plus en plus contraintes… C’est un coût, et un temps que l’agriculteur ne passe pas sur l’exploitation, reprend la salariée de la Chambre de l’agriculture, Axelle Verniol. Aller dans Lyon pour livrer trois salades à un restaurant, pour caricaturer, ça n’a pas de sens économiquement ni écologiquement. De même, aller soi-même chez le producteur faisait sens il y a 40 ans quand on y allait pour remplir son coffre, mais si c’est pour prendre 200 g de fraises… » Aussi, les professionnels s’organisent parfois eux-mêmes, comme avec la coopérative du Rhône, Bioapro.

Mais la Métropole a aussi conscience que les objectifs de sa Zone à faibles émissions contrecarrent ceux de son Plan alimentaire territorial. « Notre rôle doit être celui de rassembleur pour faire le joint entre des partenaires comme Vrac et les agriculteurs, cerner comment approvisionner le dernier kilomètre depuis le périurbain », concède Jérémy Camus. Pour cela, plusieurs hypothèses vont être étudiées : créer un lieu où massifier les flux avant de les redistribuer en ville, ou au contraire créer de nombreux « mini-hubs » sur l’ensemble du territoire pour le mailler plus finement.

« Rien n’est arrêté, mais on veut tester des choses rapidement. » Peut-être en se basant sur le marché de gros de Corbas, dont le « Carreau » de producteurs peut représenter un exemple à dupliquer. L’hôtel de logistique urbaine du port Édouard-Herriot ou les perspectives de terrains à libérer à Villeurbanne présentent aussi des opportunités à moyen terme.

Régie agricole et incubateur de paysans

Les terrains agricoles, justement, représentent une autre inquiétude : la Métropole en « mange » un hectare par jour. « Mais il y a encore du foncier sur notre territoire. Aujourd’hui, la métropole compte 10 000 ha en Penap (protection des espaces naturels et agricoles périurbains), avec un potentiel de 24 000. Nous voulons remettre de l’agriculture nourricière, sanctuariser le foncier agricole. » Notamment pour « remettre » des agriculteurs dessus.

Dans ce but, le Grand Lyon envisage la création d’une régie agricole métropolitaine qui pourrait constituer une réponse au problème de la non-reprise d’activité : la collectivité serait ainsi en capacité de gérer des terrains dont elle s’est rendue propriétaire, et les proposer aux agriculteurs à qui elle aura mis le pied à l’étrier dans ses… incubateurs de paysans. Un premier site test pourrait ouvrir en 2022 à Vaulx-en-Velin, destiné à accompagner sur quelques années les futurs exploitants venus de l’extérieur du monde agricole traditionnel, ce qu’on appelle les « hors cadres familiaux ». À terme, l’envie est de créer plusieurs espaces de tests de ce type, dont un ciblé sur l’élevage bovin.

Le levier de la commande publique

Car si les écolos veulent faire baisser la consommation de viande globale, ils comptent augmenter la part de viande locale consommée par les Lyonnais, notamment dans les cantines. Les 24 000 repas des collèges gérés par la Métropole et les 30 000 scolaires de la Ville, ceux des Ehpad, crèches, résidences seniors, constituent un levier fort pour infléchir la commande publique vers les produits locaux, et viser comme promis pendant la campagne le 100 % bio et le 50 % local.

Encore faut-il définir ce qui est local… Le diagnostic du Patly évoquait un rayon de 50 km autour de Lyon. « Mais si je trouve des légumineuses à 54 km, le but n’est pas de les exclure. Il ne s’agit pas d’un cercle, mais d’un travail filière par filière », précise Gautier Chapuis.

« Être autonome, pas une fin en soi »

D’autant que dans la commande publique, la collectivité n’a pas le droit d’imposer le caractère « local » dans le cahier des charges. Mais des biais existent : imposer un circuit plus court, des conditions de transport, des produits moins transformés, du bio… Elle tente aussi d’inciter des exploitants installés sur des cultures destinées à alimenter les circuits « longs » à se pencher, par exemple, sur les lentilles en période d’interculture afin de leur proposer des débouchés dans les marchés publics. À ce titre, la mise en place d’une régie agricole métropolitaine pourrait permettre de développer un maraîchage local à destination de la restauration collective.

« Dix tonnes ont été achetées pour les collèges, lycées, l’hôtel de la Métropole… Il faut que l’on soit acteurs, montrer que c’est possible d’aller vers la proximité », martèle Jérémy Camus. Le local, sans tomber dans le localisme. « 15 % sont un cap. Ce n’est pas une fin en soi d’être autonome, ce n’est même pas souhaitable. Les échanges gastronomiques entre régions sont intéressants, enrichissants même. Mais entre ces deux extrêmes, il y a une sacrée marge de manœuvre », goûte déjà Gautier Chapuis. 


Le problème des marchés : vers un label « produit à Lyon » ?

Quoi de plus local que son marché de quartier ? Sauf que rien n’est simple quand il s’agit de déterminer la provenance des produits de ses étals.

« Il y a 88 marchés dits “de plein vent” à Lyon, c’est la plus grosse densité de France, explique Gautier Chapuis, adjoint délégué à l’Alimentation locale et la sécurité alimentaire. Des gros, des petits, des 100 % producteurs, du soir, du matin, du bio, du pas bio… Avec Camille Augey, adjointe au Commerce, nous allons essayer de reprendre la main. » Parmi les axes de travail prioritaires de la Ville, de l’Ardab (Association Rhône-Loire pour le développement de l’agriculture biologique) et de la Chambre d’agriculture : « Comment valorise-t-on les producteurs locaux, comment réintègrent-ils plus amplement les marchés, et comment mettre en valeur leurs produits ? Les gens souhaitent connaître ce qu’ils achètent ; or, aujourd’hui, ce n’est pas le cas, on peut faire du bio et vendre des bananes… C’est parfois un jeu d’étiquette. Si vous connaissez vos commerçants, vous finissez par savoir, mais ce n’est pas aisé. »

La Ville va donc refondre son règlement des marchés, et réfléchit avec les syndicats professionnels à la meilleure manière de clarifier la provenance des produits : affichage, label « local » ? « C’est délicat car hétérogène. On ne peut pas tracer un cercle à 50 km autour de Lyon arbitrairement. Pour un producteur de fruits et légumes, la distance a un sens, mais sur du transformé, on se retrouve avec des intermédiaires qui peuvent transformer à la ferme comme ailleurs. Cela requiert de travailler filière par filière. C’est le gros travail de cette année : savoir où mettre le curseur. »

Un label existe : « Bienvenue à la ferme ». La Chambre d’agriculture du Rhône semble sur la même longueur d’ondes, puisqu’elle dispose déjà d’un label du même nom. Outre encadrer les deux marchés 100 % producteurs de la Métropole, à Vourles et place Carnot, elle s’assure du contenu des étals des adhérents de ce label. « Nous appliquons un cahier des charges qui garantit que la majorité des produits vendus par un producteur viennent de son exploitation. Sur le marché ou en magasin, le marchand doit distinguer les produits venant de chez lui et les autres, ce que nous contrôlons régulièrement », explique Axelle Verniol, conseillère en stratégie commerciale, circuit de proximité à la Chambre d’agriculture.

Mais seulement une trentaine de producteurs du Rhône participent. « Ils n’ont pas besoin de marque pour vendre leurs produits. Donc ceux qui adhèrent sont ceux qui ont une éthique et qui veulent la montrer. »


« Dans dix ans, il n’y aura plus de pommes ou de cerises du Rhône »

Antoine Pariset, maraîcher à Orliénas, est représentant de la confédération paysanne du Rhône.

Dans quel état la profession sort-elle des confinements et du violent épisode de gel ?

Beaucoup d’entre nous souffrent moralement comme financièrement. On réfléchit à la manière d’adapter nos productions à ces enjeux.

Craignez-vous des conséquences à long terme ?

La grande crise, c’est que plus personne ne veut s’installer en culture du fruit. Les conditions météorologiques sont de pire en pire. On ne peut plus faire deux saisons correctes d’affilée ! Dans dix ans ou moins, il n’y aura plus de cerises, de pommes, de poires ou de pêches qui viennent du Rhône. C’est un enjeu majeur.

Lié d’ailleurs aux problèmes de succession que connaît la filière agricole…

Beaucoup préfèrent vendre le terrain en constructible, car ils ont une retraite de misère. Le mètre carré constructible, c’est 40 fois le mètre carré agricole ! L’agglomération lyonnaise nous permet de vendre notre production mais nous prend aussi des terroirs. Tous les agriculteurs sont confrontés à la spéculation foncière. Si l’on veut favoriser la production locale, il faut stopper la bétonnisation des terres.

Le boom des produits locaux lors du premier confinement a-t-il apporté une bouffée d’oxygène à des productions en manque de débouchés ? Et est-elle durable ?

Cela a mis notre travail en valeur. Mais il ne fallait pas être dupe non plus. Ça a surtout permis de montrer que la production de fruits, légumes et viande était largement insuffisante pour subvenir à nos besoins en local. Lyon et la vallée du Rhône sont pourtant de grands bassins de production, mais l’on n’arrivait pas à abonder. On manque de paysans et de producteurs.

Le circuit de proximité rémunère-t-il forcément mieux ?

La rémunération se fait si le client est prêt à mettre le prix. La vente directe peut permettre de payer correctement le travail. Mais il y a des clients qui ne veulent pas payer plus cher pour du local. Et à l’inverse, en circuit long, on trouve des réseaux d’achat qui jouent le jeu à bon prix. Ce n’est pas une crise de vocation, mais une crise du prix. Nous sommes en concurrence européenne avec des produits qui ne sont pas soumis aux mêmes charges. En France, un produit sain est un produit cher. Entendons-nous bien, c’est une bonne chose d’avoir des charges sociales, car le Smic, c’est quand même le minimum pour quelqu’un qui passe sa journée le dos courbé. Mais cette concurrence détruit l’agriculture à taille humaine, celle justement qui est proche de Lyon.

Que pensez-vous de la volonté de Lyon d’augmenter son autonomie alimentaire ?

L’une des questions, c’est comment faire pour que les agriculteurs locaux puissent avoir accès aux marchés publics qui leur sont inaccessibles pour l’instant, par exemple la cuisine centrale de Lyon. Le constat, c’est que tant qu’elle ne sera pas en régie publique, ce sera toujours un certain type de produits issus de l’agriculture intensive ou industrielle. L’intérêt d’Elior, le prestataire actuel, est d’avoir un seul interlocuteur par produit acheté. Si on veut des petits producteurs, on a besoin d’un acheteur d’accord pour passer plus de temps avec 10 ou 12 agriculteurs pour fournir le même volume. Une régie publique pourrait le faire plus aisément, mais c’est un travail de sept ou huit ans en amont du prochain marché public. On applaudit des deux mains la volonté, mais tant que ce n’est pas suivi d’actes, c’est un vœu pieu.

Hari & Co, c’est le spécialiste lyonnais des pois chiches, lentilles transformées en boulettes, galettes…

Fournisseur des cantines et de la restauration collective, il s’est lancé il y a un an dans les rayons de la grande distribution. Jusqu’à cette année, l’ensemble des 300 tonnes de légumineuses nécessaires venait de coopératives de l’ouest de la France. Le tout, en camion. Alors l’entreprise a enclenché des moyens pour courber l’aspect négatif de son commerce. « On veut être acteurs de la relocalisation agricole et d’une décarbonation de l’alimentation. Il fallait diminuer le transport depuis le champ vers l’atelier de production  », pose le jeune patron Benoît Plisson.

Désormais, l’atelier de fabrication de la Drôme reçoit également ses matières premières d’une dizaine de producteurs de la région Aura. « Ça représente 50 ha. Ils sont en moyenne à 90 km de notre atelier. L’idée en 2021 est que cela représente 20 % de nos volumes. » Hari & Co entend en outre traiter ses fournisseurs de la manière la plus équitable possible, notamment en partageant les risques : il les rémunère un peu plus que d’habitude pour amorcer la filière, couvrir d’éventuelles erreurs techniques. « On avance aussi la moitié des charges pour les semences. L’idée est de mettre en place une sorte de commerce équitable Nord-Nord, où le coût n’est pas répercuté sur le prix au consommateur, et d’arriver à une équation où l’agriculteur dégage suffisamment de marge. »

Reste une inconnue dans cette équation : les grandes et moyennes surfaces. « Le prix est clairement un sujet avec la grande distribution. Aujourd’hui, ce n’est pas simple dans les négociations. J’espère qu’ils ne nous serreront pas les prix de manière abusive, sinon le modèle ne pourra pas tenir. »

Maréchal Fraîcheur, droit dans ses bottes

« En mars 2020, on n’a pas compris ce qui se passait. Ça a été un boom inattendu. Un lundi, en trois heures, ça n’arrêtait pas de commander ! »

Le producteur-livreur de paniers précommandés Maréchal Fraîcheur de Vancia (Rilleux-la-Pape) entamait trois mois très intenses. Depuis, l’activité s’est stabilisée. « On a connu une progression de peut-être dix voire 15 %, car des gens nous ont connus grâce au confinement, mais je ne pense pas que ça va continuer à exploser », tempère Paul Maréchal, cinquième génération de maraîcher. Avec 80 % de sa production de 4 000 à 5 000 paniers hebdomadaires qui proviennent de ses propres 90 hectares 100 % bio, Maréchal se veut droit sans ses bottes.

Il produit pour ses clients de la métropole des légumes feuilles (salades, épinards), légumes de ratatouille (tomates, aubergines, courgettes), des fruits rouges (fraises, framboises), des courges, patates douces… Les 20 % restants viennent de la métropole, avec des limites géographiques à Vourles, Craponne ou Saint-Bonnet-de-Mure… Seules entorses : des confitures de la Drôme, du jus de fruits du Pilat… et des agrumes de Sicile. « Parce que l’hiver, c’est dur de tourner avec juste pomme, poire, kiwi. » Mais le fruit le plus vendu de France, la banane, n’a pas sa place.

Trop lointain

Maréchal exploite également des débouchés dans des magasins bio indépendants, et abonde la plateforme logistique de La Vie Claire, enseigne bio implantée à Montagny. Maréchal Fraîcheur, qui fait produire sa propre farine chez un meunier de Bourgoin, a aussi créé avec la Vie Claire, Graines de Lyon, une filière commune céréalière « pour s’assurer de la provenance locale des produits ».

Paul Maréchal voit bien la mode des entreprises de livraison bio de proximité s’installer dans la tête des jeunes entrepreneurs. « C’est tendance, ça a l’air sympa, plutôt simple, mais rapidement on se rend compte que c’est plus compliqué que ça. On gagne mieux notre vie en se rapprochant du particulier, on est mieux rémunérés, mais c’est aussi plus d’efforts : il faut gérer les mails, les commandes, investir dans des camions… C’est un métier nouveau, qui est tout sauf inné. » Maréchal Fraîcheur s’est lui agrandi cet hiver avec une aile de 800 m2 toute neuve qui pourrait, à partir de juin, permettre à ses clients de retirer leurs commandes jusqu’à 22 heures grâce à un code.

Irigny : se mettre au bio, mais pas à tout prix

Le président de la Métropole Bruno Bernard et son vice-président Jérémy Camus étaient le 7 mai en visite à Irigny, au sein de l’exploitation de Vincent Janod et Rémi Delesalle, l’EARL Les Pommières. Les deux salariés y cultivent dix hectares de vergers, dont huit en Penap (espaces dédiés à la protection des espaces naturels et agricoles périurbains). Y poussent pommes, poires, coings, abricots, pêches que les agriculteurs transforment en jus, nectars, compotes… Ils favorisent les produits transformés qu’ils peuvent ainsi vendre plus cher d’autant que, écoulant leur stock dans un magasin de producteurs, ils peuvent fixer eux-mêmes leurs prix.

La Métropole a justement participé au financement d’un entrepôt de 1 400 m2 pour le pressage et l’embouteillage. 90 % de leur production est vendue dans le magasin de producteurs des monts du Lyonnais à Beauvallon, et 10 % dans diverses boutiques à Lyon, Villeurbanne et Caluire. « C’est intéressant d’être dans la métropole pour la proximité des marchés, mais je mets moins de temps à aller à Beauvallon qu’à Caluire ou Villeurbanne. »

Si l’exploitation est accompagnée par l’Ardab (Association Rhône-Loire pour le développement de l’agriculture biologique) afin de tendre vers le bio, en récolter le label ne sera pas chose aisée. « On y est presque. Mais toutes les parcelles du plateau sont imbriquées : soit tout le monde passe bio, soit personne  », puisqu’une exploitation bio doit se trouver à une distance minimale d’une autre non bio. Ce qui les prive de la possibilité de vendre leurs produits aux cantines des collèges de la Métropole par exemple.

« Je comprends leur volonté d’emmener tout le monde vers le bio, mais la priorité c’est d’asseoir un certain nombre d’exploitations, de créer des contrats d’approvisionnement régulier avec des promesses d’achat d’une certaine quantité. On peut toujours aller voir les gens pour tendre vers le bio. Mais d’abord, il faut des agriculteurs. »

À Charly, on sélectionne les fruits et légumes de demain

Quels produits frais garniront demain les assiettes des Lyonnais ? Peut-être des melons du Caucase. Le Centre de ressources de botanique appliquée (CRBA) de Charly et sa ferme Melchior travaillent à identifier les légumes qui sauront résister au temps que nous prépare le dérèglement climatique. Tant à partir d’anciens légumes lyonnais, que le centre tente de réhabiliter, que par le biais de nouvelles espèces cultivées partout sur le globe et qui pourraient, in fine, s’adapter à nos territoires en transformation.

Nombre d’anciens fruits et légumes jadis produits à Lyon ont été poussés hors des étals et rayons uniformisés car peu adaptés, trop petits… Grâce à son partenariat avec l’Institut de ressources génétiques végétales Vavilov de Saint-Pétersbourg, une petite centaine de variétés lyonnaises sur les 270 retrouvées ont pu être rapatriées. Tomate de Beaurepaire, courge romaine de l’Ain, haricot nain lyonnais, navet noir de Caluire ou pois hâtif d’Annonay…

Le programme « Légumes anciens, saveurs d’ici » tente de les réintroduire. Le piment de Bresse a été par exemple adopté par le chef Christian Têtedoie, et le poivron d’Ampuis s’est frayé un chemin dans les paniers des Amap.

Mais l’avenir réserve probablement aux assiettes lyonnaises des produits plus exotiques. Pour les dénicher, le CRBA doit parfois aller à l’autre bout du monde comme au Sud Caucase où, malgré des étés parfois à +52 °C, melons et pastèques résistent. « Ils poussent alors même que le stress hydrique interrompt normalement la croissance ! », s’épate Sabrina Novak, directrice adjointe du CRBA. Un profil idéal sur le papier pour transférer ces semences dans une région lyonnaise que l’on annonce en 2030 accablée par le climat d’Alger ou de Madrid.

Mais cette caractéristique est loin d’être la seule pour remplir le cahier des charges des produits frais de demain. Il en faudra trois : ils devront être résistants aux amplitudes thermiques, sans intrants chimiques, et « dotés de qualités nutritionnelles mesurées et avérées. C’est le nerf de la guerre. On se nourrit pour vivre. Les pommes des années 1950 avaient 100 fois plus de vitamines C que les variétés contemporaines. Que fait-on avec celles d’aujourd’hui ? On en mange cent fois plus. »

Fermes semencières

Une fois ces barrières franchies, restera encore aux futures espèces candidates au terroir lyonnais à faire leurs preuves gustatives auprès de chefs invités ou du grand public. Elles devront aussi être en capacité de se voir produites en pleine terre sur les terrains métropolitains, sans contracter de maladie, en respectant la charte du bio, et en atteignant des volumes suffisants.

Malgré tout cela, certaines variétés se montrent prometteuses, comme la tomate « russe », le sorgho, ou le tétragone, une sorte d’épinard d’été. Avec la Métropole de Lyon, le CRTBA développe en outre le programme « Semeurs de la Métropole », un concept de ferme semencière où de nouvelles espèces seront testées, introduites auprès des incubateurs de paysans avec pour idée, au final, de voir ces nouvelles semences réintroduites en grand volume dans les plats lyonnais.

Ces fruits et légumes lyonnais en test

La métropole a été l’un des principaux centres d’innovation agricole en Europe au XIXe siècle. En sont nées près de 40 000 espèces de fleurs, fruits, légumes… Le volet reconstitution du patrimoine du CRBA « relève parfois de l’enquête policière et prend plusieurs années de recherche ! », s’amuse Sabrina Novak, sa directrice adjointe. Ainsi du devenir du melon de Pierre-Bénite, dont la trace a été perdue, « mais pour lequel nous avons une piste ». La laitue de Pierre-Bénite, elle, existe encore dans des champs de la métropole, alors que le poireau bleu de Solaise est en voie d’extinction : aux dernières nouvelles, un seul agriculteur le produisait encore. 

A lire également dans cette rubrique

29 mars 2024

Quiz. Avez-vous bien suivi l’actu lyonnaise de la semaine ?

D’un restaurant au thème insolite à une usine menacée, en passant par un projet ferroviaire abandonné, l’actualité lyonnaise de la semaine a été riche en rebondissements ! Venez tester votre connaissance de l’actu de la capitale des Gaules en répondant au quiz de Tribune de Lyon.

27 mars 2024

Lyon. Périscolaire du soir : le sujet de la discorde

Le changement des horaires du temps périscolaire divisent les parents d’élèves lyonnais. Alors que la période était divisée en deux parties, les créneaux sont désormais réunis mais les départs autorisés dès 17h45 pour les maternelles, et dès 18h pour les élèves de primaire.