Incubées par le Barreau de Lyon, ces légaltechs qui veulent transformer la profession

Le Barreau de Lyon pencherait-il désormais du côté de la tech ? L'institution a lancé une websérie présentant les douze startups, couvées par son incubateur. Une manière de mettre en lumière tout l'intérêt des legaltechs, ces innovations qui visent à faire évoluer la relation entre les justiciables et les avocats. Quitte à encourager davantage de professionnels à franchir le pas, afin de ne pas manquer le train de la digitalisation du secteur.
En proposant de faciliter le rapport des justiciables avec le droit, les legaltechs sont bien conscientes de la nécessité d'innover, dans un secteur perçu encore comme traditionnel : Si on ne fait rien pour proposer des services modernes et faciles d'accès, tout cela se fera sans nous.
En proposant de faciliter le rapport des justiciables avec le droit, les legaltechs sont bien conscientes de la nécessité d'innover, dans un secteur perçu encore comme traditionnel : "Si on ne fait rien pour proposer des services modernes et faciles d'accès, tout cela se fera sans nous". (Crédits : DR)

Elles s'appellent V pour Verdict,  « Plume by Coda », Legal Quantum, et proposent désormais de mener une action collective en justice, vendre une parcelle, rédiger une convention entre parents séparés, ou encore consulter un avocat en visio...

Tel est le genre de projets alliant droit et numérique, que l'incubateur du Barreau de Lyon accompagne désormais avec une ambition : accélérer la digitalisation du secteur, tout en confortant la place des professionnels du droit, dans les services qu'ils pourraient proposer.

Douze legaltechs incubées, et une websérie pour les mettre en lumière

Car le droit est loin d'être antinomique avec la notion d'innovation, ni avec le monde de la Tech. C'est ce que veulent montrer ces nouvelles pépites, qui émergent aux quatre coins de l'Hexagone, y compris à Lyon. Ces technologies ou plateformes sont avant tout conçues pour faciliter la vie des justiciables et des avocats, et sont parfois montées directement en startups.

"Aujourd'hui, lorsqu'on pense aux legatechs, on songe digital et innovation, mais ce n'est pas uniquement cela, c'est d'abord une nouvelle façon de faire du droit. Cela peut aller des services simples à des innovations pas forcément technologiques", affirme Serge Deygas, Bâtonnier de Lyon.

Pour les épauler et les orienter, le Barreau de Lyon a ainsi lancé en 2017 son propre incubateur de legaltechs, dont la création a été initiée par sa commission Innovation. Pionnier en la matière, Lyon se pose même comme l'un des fondateurs du Réseau national des incubateurs de barreaux (RNIB).

Depuis sa création, douze projets ont été incubés, et le sont encore à ce jour. Ce printemps, le Barreau a même lancé une websérie pour présenter les projets couvés dans son incubateur, qui ont la particularité d'avoir été tous créés par des avocats.

L'accompagnement n'est pas financier, mais plutôt moral et technique. Une sorte de label de soutien : "Mais nous vérifions en premier lieu que chaque projet réponde bien à des critères déontologiques", assure Serge Deygas.

Des projets tous azimuts pour transformer le droit

"Nous sommes assez fiers de cet incubateur et il a déjà des résultats". A l'image de Visio Avocats, plateforme de consultation en ligne, qui a connu un certain essor grâce aux confinements successifs.

Parmi ces douze projets, plusieurs domaines sont représentés : immobilier, action collective, droit des enfants, des sociétés. .."Il y a des choses qui cassent un peu les clichés, comme par exemple dans le droit de la famille. On ne penserait pas qu'il puisse y avoir une legaltech pour ça", développe Joëlle Forest-Chalvin, vice-bâtonnière.

Avec, parmi eux : Ubikap, un logiciel destiné aux avocats en droit des sociétés, qui centralise tous les outils permettant d'automatiser la gestion de l'actionnariat d'une entreprise, mais aussi Legal Quantum, qui a imaginé un logiciel intégrant une modélisation réalisée avec du Machine Learning afin d'accompagner les négociations entre salariés et employeurs dans le cadre d'une rupture du contrat de travail.

Dans le domaine de la famille, « Plume by Coda » propose par exemple un outil visant à mieux organiser le mode de garde des enfants en cas de séparation, allant même jusqu'à l'établissement d'une convention parentale imaginée sur mesure.

D'autres, comme V pour Verdict, ont mis sur pied une plateforme en ligne d'actions collectives en justice, qui assure le référencement des actions collectives en ligne et fournit un outil de digitalisation des toutes les tâches extra-juridiques (gestion administrative des dossiers, regroupement des plaignants, etc).

Un virage favorisé par le Covid

En plus d'offrir de nouveaux services aux justiciables, ces legaltechs permettent ainsi parfois d'automatiser certaines tâches, afin que les avocats aient plus de temps à consacrer à leur cœur de métier.

Bien que le nombre de projets incubés puisse paraître encore faible, le Bâtonnier explique : "Il est compliqué de monter une startup pour un avocat. Parce qu'ils ont déjà leur cabinet et qu'ils doivent en plus monter un nouveau projet. L'investissement en temps et en argent s'avère considérable."

Tout en incluant aussi des ateliers sur le numérique dans le droit, les enjeux de la communication, la création d'un site Internet, l'innovation, l'accompagnement de "l'incubateur du Barreau est plus largement à l'origine d'un mouvement qui incite nos confrères à prendre un tournant numérique", souligne la vice-bâtonnière.

"On ne peut plus exercer le métier comme avant, nous ne pouvons pas y échapper. Comme les autres domaines, notre métier va subir des transformations et il faut s'y inscrire", note Serge Deygas.

Par exemple, il y a une trentaine d'années, les avocats ne pouvaient pas faire de communication ou annoncer leurs honoraires. Aujourd'hui, tout cela se trouve en ligne.

Sans compter que l'année Covid aura aussi aidé la profession à se résoudre à prendre ce virage : "La crise sanitaire a dû renforcer les convictions. On voit bien que beaucoup de choses ont changé dans le rapport aux clients."

Les plateformes VisioAvocats ou Pomelaw par exemple, qui existaient déjà avant le confinement, ont notamment connu un regain d'intérêt durant ces périodes où les services administratifs et juridiques étaient clos ou ralentis. "On regardait ces acteurs un peu comme des originaux mais en réalité, ils ont été assez précurseurs", commente le Bâtonnier.

Gagner en visibilité et en lisibilité auprès des clients

Pensés pour les avocats, mais aussi pour les justiciables, ces projets pourraient notamment devenir une porte d'entrée vers les avocats pour certains clients, rendant ainsi les services plus lisibles et accessibles.

Avocat en droit de la famille, Fabien Boucher, avocat et l'un des fondateurs de Plume by Coda, explique que c'est justement ce qui l'a poussé à monter un projet commun avec ses confères.

L'idée : une plateforme pour aider les parents séparés à générer une convention de garde d'enfants : "On s'est rendu compte dans notre pratique, que souvent les parents se présentent seuls aux audiences. Ils manquent d'informations et d'un service de qualité.  [...] Il fallait s'adapter car il existait une réelle demande."

Sans compter que pour le Bâtonnier, ces legaltechs contribuent à une autre nécessité : "Il faut aussi casser l'image de l'avocat rigide et imposant".

Un bouclier contre les "industriels du droit"

Alors que certains avocats résistent à ce tournant numérique, d'autres veulent prendre le train, mais sans vraiment savoir par où commencer. L'incubateur du barreau estime qu'il s'agit cependant d'une étape devenue indispensable : car le risque, bien présent, serait que d'autres prestataires de services, non spécialisés en droit, s'accaparent sa numérisation.

Car on retrouve désormais sur certains services, ce que le Bâtonnier appelle "des industriels du droit, qui cherchent notamment à proposer entre autres des services peu chers, en ôtant certains rôles aux avocats, comme de préparer les contrats de travail, d'aider les citoyens à saisir un juge, etc".

Le Barreau de Lyon le martèle donc : "il ne faut pas abandonner le droit du quotidien à ces plateformes, qui proposent des choses toutes faites : nous avons nous aussi des services adaptés au droit du quotidien, réalisés par un avocat et qui répondent à une réglementation stricte."

Pour la profession, tout l'enjeu sera donc ne pas perdre ce marché ainsi que leur indépendance. "Si l'on ne fait rien pour proposer des services modernes et faciles d'accès, cette évolution se fera sans nous", craint Serge Deygas.

 (avec ML)

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