Activation du plan blanc en Sud-Isère : un effet "boule de neige", à l'aube de la réouverture des stations ?

Alors que le ministre de la Santé, Olivier Véran, est attendu ce vendredi pour défendre le Ségur de la Santé ainsi que la livraison d’un nouveau plateau technique au CHU Grenoble Alpes, les autorités de santé ont décidé d’activer le plan blanc en région grenobloise il y a quelques jours. En cause : un manque criant de soignants, facteur d'inquiétude à l’aube de la réouverture des stations de ski, où les prises en charge en traumatologie sont appelées à croître fortement.
Avec le plan blanc qui vient d'être déclenché en Sud-Isère, le Centre Hospitalier Universitaire de Grenoble Alpes espère être en capacité de prendre en charge, avec sécurité, les blessés du ski, à travers une nouvelle organisation des services. Sa directrice générale confiait cependant : Si on n'y arrive pas, nous ferons appel à d'autres hôpitaux de la région pour soulager nos services.
Avec le plan blanc qui vient d'être déclenché en Sud-Isère, le Centre Hospitalier Universitaire de Grenoble Alpes espère être en capacité de prendre en charge, "avec sécurité, les blessés du ski", à travers une nouvelle organisation des services. Sa directrice générale confiait cependant : "Si on n'y arrive pas, nous ferons appel à d'autres hôpitaux de la région pour soulager nos services". (Crédits : AFP PHOTO/PHILIPPE DESMAZES)

Le Centre Hospitalier Universitaire de Grenoble Alpes (CHUGA) se pose comme la plaque tournante des urgences alpines en matière de traumatologie. Il comprend notamment un site Nord (La Tronche) qui se pose comme un centre de soins pluridisciplinaire accueillant, entre autres, le service d'accueil des urgences adultes, et un site Sud (Echirolles) qui héberge notamment les urgences traumatologiques.

Et depuis 2015, cet établissement alpin, dont les infrastructures dataient de 40 ans, était aussi engagé dans un grand plan de modernisation, pour un budget global de 182 millions d'euros, soutenu en partie (22 millions) par l'Etat via le Comité Interministériel de Performance et de Modernisation de l'Offre de Soins (Copermo).

Désormais en cours d'emménagement au sein de son plateau technique flambant neuf sur son versant Nord, qui réunira au sein d'un même bâtiment la filière des soins critiques et de l'urgence vitale, le CHUGA dans son ensemble se retrouve chaque hiver face à un fort accroissement du nombre de prises en charge, en lien avec la saison hivernale et les accidents de ski. L'un des plus célèbres patients avait été le pilote automobile Michaël Schumacher, victime d'un accident de ski sur les pistes de Méribel en 2013.

Mais cette fois, ce n'est ni le Covid, ni une situation inédite sur la scène du ski qui constitue une menace directe, mais bien un manque criant de personnel au sein des services d'urgences, ainsi qu'un afflux continu de patients.

« Depuis plusieurs semaines, les différents services d'urgences du territoire accueillent en effet tous les jours un nombre élevé de patients, alors même que les épidémies hivernales comme la grippe et la bronchiolite ou encore les accidents hivernaux liés aux sports de montagne ne sont pas encore là », indique la direction du CHUGA.

« À cela s'ajoutent des difficultés, toujours importantes, en termes de ressources humaines disponibles sur le marché du travail, conduisant à des difficultés à pourvoir les postes vacants dans plusieurs secteurs d'activité, et plus particulièrement concernant les médecins urgentistes et du personnel non médical, mais aussi une persistance de prises en charge reportées du fait de la crise Covid ».

Une situation qui pourrait faire effet "boule de neige", à quelques encablures de l'ouverture officielle des stations de ski alpines.

Le niveau d'alerte franchi sur l'ensemble des établissements du territoire

Au CHU de Grenoble, tout comme dans les principales cliniques de l'agglomération (Clinique Belledonne, Clinique Mutualiste, Clinique des Cèdres, et même CH de Voiron, désormais rattaché au CHU de Grenoble), les soignants ont franchi le niveau d'alerte en matière de sous-effectifs.

A tel point que l'ARS vient de déclencher vendredi dernier le « plan blanc » pour l'ensemble du Sud Isère, et cela n'a rien à voir cette fois avec les indicateurs Covid.

Objectif : permettre aux établissements de santé de mobiliser des effectifs supplémentaires et d'adapter le fonctionnement de leurs services, pour faire face à une situation "de crise".

C'est en effet l'épuisement du personnel qui est pointé, après des mois de pandémie, mais également la conséquence, selon les représentants du personnel, des conditions de travail ainsi que de l'obligation du pass sanitaire. Un phénomène qui concernerait non seulement les médecins et aides-soignants, mais aussi le personnel para-médical.

Le ministre de la Santé, Olivier Véran, jusqu'ici neurochirurgien au CHU de Grenoble avant la prise de ses fonctions, l'a bien compris, à l'aube d'une visite programmée ce vendredi à Grenoble, où il devrait justement revenir sur le bilan du Ségur de la Santé, un plan post-pandémie qui visait à proposer 19 milliards d'euros pour "rénover, équiper ou moderniser les établissements de santé et EHPAD". Mais il sait déjà que ce ne sera pas suffisant :

Ce mardi, le ministre de la Santé a même appelé les cliniques privées et les médecins libéraux à « prendre toute leur part » pour assurer « la permanence des soins sur la fin de l'année » aux côtés de l'hôpital public, qui traverse une « période difficile ».

28 postes vacances sur 70 aux urgences

La directrice du CHU de Grenoble, Monique Sorrentino, est elle même confrontée directement à l'ampleur de la situation. « Aux Urgences, 28 postes de médecins sont vacants sur un effectif total de 70. Nous devons rendre de nouveau ce service attractif pour les médecins », affirmait-elle ce lundi, lors d'une conférence de presse suivant le déclenchement du plan blanc.

Conséquence directe : les 450.000 habitants de la métropole grenobloise sont désormais appelés à composer le 15 « avant de se rendre aux Urgences », afin qu'un médecin régulateur leur dise « s'ils peuvent être vus par médecin généraliste de garde, en ville, ou s'il faut envoyer une ambulance ».

A quelques kilomètres de Grenoble, à Voiron (20.000 habitants), le service de urgences qui a fusionné en janvier 2020 avec le CHUGA, a baissé le rideau lors des nuits de ce lundi et mardi (hors urgences vitales) : seules ses urgences pédiatriques et gynécologiques demeuraient ouvertes.

A tel point que le fondateur du collectif Santé en danger (200.000 membres et 9.000 adhérents), l'urgentiste Arnaud Chiche, a fait le déplacement afin que le service puisse fonctionner le week-end dernier, et sera de retour ce vendredi pour une garde de nuit, cette fois à l'appel du CHUGA lui-même.

« Mais on ne va pas pouvoir continuer comme cela longtemps. Les politiques doivent nous entendre. Ca craque de partout ». L'urgentiste plaide notamment à un Ségur 2 et à des revalorisations salariales ainsi qu'une réorganisation des hôpitaux français, allant même jusqu'à estimer qu'une 5e vague pourrait « faire tomber » le système de soins français.

Les cliniques privées concernées également

Même situation en centre-ville de Grenoble, où l'accès au service des urgences de la clinique du Groupe Hospitalier Mutualiste (GHM) (reprise par le groupe Avec en 2020) s'est fortement restreint depuis quelques jours « sauf urgences vitales », arguant que « le service n'est plus en capacité d'accueillir de nouveaux patients ».

Accueillant jusqu'à 95 personnes par jour, les urgences du GHM jouent habituellement un rôle de délestage des urgences du CHU de Grenoble. Elles font désormais appel aux pompiers et au SAMU afin de rediriger les patients vers d'autres structures.

Selon nos confrères de France 3 Alpes, les arrêts maladies y ont grimpé pour atteindre seulement 6 soignants sur 12 équivalents temps pleins au service des urgences.  « Ces arrêts maladie sont une réalité. Cela traduit une alerte, une détresse et une demande urgente d'amélioration des conditions de travail, pour le personnel », confiait ainsi au Dauphiné Libéré Thierry Carron, secrétaire FO du Groupe Hospitalier Mutualiste.

Après avoir publié un communiqué de presse, la direction du GHM a tenu à nuancer le constat, évoquant avant tout une situation « nationale » : « L'ensemble des services d'urgence en France connaissent d'énormes difficultés dues au manque de médecins urgentistes, en particulier. Mais les difficultés viennent aussi du manque de ressources paramédicales dans les services d'hospitalisation. Aujourd'hui, on cherche des infirmiers et des aides-soignants ».

De l'enjeu local à celui de la saison d'hiver

Le déclenchement d'un plan blanc, un dispositif inscrit dans la loi de 2004 et qui vise à « permettre à un établissement de santé de mobiliser immédiatement les moyens de toute nature en cas d'afflux de patients, de victimes ou pour faire face à une situation sanitaire exceptionnelle », vise donc à pallier à l'urgence sur le plan local.

Tandis que de son côté, la directrice générale du CHUGA a concédé qu'il fallait en parallèle « rendre de nouveau ce service attractif pour les médecins », sans que les mesures pour le faire ne soient précisées.

Mais cette problématique pourrait bientôt impacter directement sur la saison de ski, dont le coup d'envoi sera donné début décembre. Car habituellement, ce sont près d'une centaine de patients par jour qui sont gérés par le service de traumatologie, rien que sur le site névralgique du CHUGA, occasionnant une occupation permanente de 50 lits supplémentaires, de fin décembre à avril.

D'ailleurs, le vice-président du syndicat des médecins de l'Isère, Didier Legeais, interrogé par Le Figaro, s'inquiétait lui-même du risque "de ne pas pouvoir absorber les 100 urgences traumatiques que cela représente chaque jour pour le bassin grenoblois". Et d'ajouter : "On a des services qui sont fermés, d'autres en forte tension. Il faut parfois attendre 10 heures pour être pris en charge dans un service d'urgence".

Une question qui avait déjà conduit, en décembre dernier, l'Etat français à laisser les remontées mécaniques à l'arrêt. Si la situation épidémique n'est aujourd'hui pas comparable (à l'époque, 356 patients Covid étaient pris en charge en date du 11 décembre par le CHU de Grenoble), le constat demeure néanmoins préoccupant.

Pour l'heure, le CHUGA mise notamment sur une mutualisation des services d'urgences et un premier « tri » à travers le service du 15 : « avec le plan blanc et une nouvelle organisation, on espère pouvoir prendre en charge, avec sécurité, les blessés du ski (...). Et si on n'y arrive pas, nous ferons appel à d'autres hôpitaux de la région pour soulager nos services », affirmait sa directrice générale à la presse, rappelant par ailleurs que les urgences pédiatriques, gynécologiques, ainsi que les services de cardiologie « fonctionnent normalement ».

En cas de besoin, les urgences des hôpitaux du territoire (HCL lyonnais, mais aussi les hôpitaux de Chambéry, Albertville - Moûtiers et Bourg Saint-Maurice) seront-elles capables de faire face à l'afflux de patients ?

En 2018, le Centre Hospitalier d'Albertville-Moûtiers avait déjà fait l'objet d'un regroupement, avec l'instauration d'une "direction commune" avec le CH de Chambéry. Et ce, après une première étape de fusion, engagée entre les deux hôpitaux d'Albertville et de Moûtiers -situées tous deux au pied de la Tarentaise- et qui avait conduit à la fermeture du service d'urgences de Moûtiers en 2015.

Contactée à ce sujet, l'ARS Auvergne Rhône-Alpes n'a pas donné suite à nos demandes d'interview.

(Publié le 10/11/2021 à 14:00, mis à jour à 18:00)

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