« Cette crise nous aura donné la capacité à sortir du cadre » (Philippe Valentin, CCI Lyon Saint-Etienne Roanne)

ENTRETIEN. Seul candidat à sa succession, le candidat d’union Medef-CPME Philippe Valentin a été de nouveau investi ce lundi à la présidence de la CCI Lyon Saint-Etienne Roanne. A l'aube de ce nouveau mandat, il revient en avant-première avec La Tribune sur sa nouvelle feuille de route : impact de la crise sanitaire sur les missions de l'organe consulaire fusionné en 2016, finalisation de sa transformation et de son plan de réduction des effectifs, création d'un nouveau campus dédié aux enjeux de sécurité, vision des priorités pour l'aéroport de Saint-Exupéry ou les dossiers ferroviaires (EFL, Lyon-Turin...) En filigrane, la CCI métropolitaine se positionne plus que jamais comme un « intermédiaire » avec les pouvoirs politiques, alors qu’une 5e vague se profile sur le plan sanitaire.
Pour Philippe Valentin, cette crise sanitaire aura renforcé également les rôles des CCI métropolitaines et régionales, et plus largement, celui de l'ensemble du réseau, en partant de la dorsale nationale qu'est CCI France.
Pour Philippe Valentin, cette crise sanitaire aura renforcé également les rôles des CCI métropolitaines et régionales, et plus largement, celui de l'ensemble du réseau, en partant de la dorsale nationale qu'est CCI France. (Crédits : DR)

Vous avez été réélu et installé ce lundi à la tête de la CCI de Lyon Saint-Etienne Roanne, qui se pose comme la première CCI métropolitaine de France (153.000 entreprises, 42 millions de budget en 2021), avec l'enjeu de faire grimper le score de participation de ces élections, jusqu'ici jugées peu mobilisatrices. Les scores de participation seront cependant demeurés faibles. Presque deux ans après l'arrivée de la pandémie, comment abordez-vous ce second mandat ?

Le taux de participation est malheureusement demeuré faible, car l'on observe encore une forme de désaveu du vote en général, qui s'est de plus, déroulé en période de vacances scolaires. Il est difficile de mobiliser, d'autant plus que nous avions présenté une liste unique : les adhérents ont pu croire qu'il n'y avait pas de sujet à se déplacer.

Mais nous avons été investis ce lundi de manière unanime et nous considérons que ce score n'est pas représentatif du lien des chefs d'entreprise avec leur CCI. Un sondage commandé par CCI France à Opinion Way indique que 8,2 chefs d'entreprise sur 10 estiment que la CCI lui est utile.

Il s'agit pour vous d'un second mandat à la tête de la CCI, après être arrivé « en cours de route » en septembre 2019, après le départ pour raisons personnelles d'Emmanuel Imberton ?

J'ai pris en effet mes responsabilités au pied levé, et j'ai eu la chance de bien connaître déjà les arcanes de la CCI. Cela m'a aidé, car on peut dire que cette mandature qui vient de s'écouler a compté comme double avec le Covid et les gilets jaunes.

Entre temps, nous avions également affiché une volonté de transformation qui n'est pas banale, et que nous avons pu réaliser malgré tout, alors que nous étions en première ligne avec l'Etat et les services de la préfecture aux côtés des entreprises. Quelque part, cette période nous a conduite à accélérer. Nous avons contacté jusqu'à 40.000 entreprises pour les aider à traverser cette période, ce qui est pour nous une belle réussite.

Vous estimiez que cette crise a même permis à l'Etat, qui s'était engagé dans une trajectoire de forte baisse des dotations accordées aux CCI au cours des dernières années, à mettre "sur pause" ses plans de réductions ? (Pour rappel, à l'échelle nationale, ces dotations avaient chuté de 1,4 milliards d'euros en 2012 à 500 millions d'euros en 2017, avec une réduction de -75% des ressources portée à la CCI Lyon Saint-Etienne, au cours des dernières années, ndlr)

Oui, je pense qu'à travers cette crise, l'Etat a redécouvert l'utilité de l'intermédiation proposée par les CCI, qui jouent un rôle de relais en proximité sur le territoire. Bien entendu, une crise comme celle-ci n'est jamais souhaitable, mais elle nous aura cependant permis de renforcer et d'appuyer l'utilité des CCI.

Est-ce finalement la même chose du côté des CCI de région d'une part, et des CCI métropolitaines et territoriales de l'autre, dont le découpage avait pu jusqu'ici susciter des questionnements en matière de coordination ?

Cet épisode aura en effet renforcé également les rôles des CCI métropolitaines et régionales, et plus largement, celui de l'ensemble du réseau, en partant de la dorsale nationale qu'est CCI France, puis des CCI régionales, métropolitaines et territoriales. Il aura aussi permis de créer de la cohésion.

Il faut rappeler que l'ambition de la CCI de Région et de créer du lien avec l'ensemble des chambres, et de mutualiser ce qui peut l'être. Cette organisation nous force, en contrepartie, à créer encore davantage de proximité avec notre territoire.

À la CCI Lyon Saint-Étienne Roanne par exemple, nous avons par exemple créé de nouveaux postes de responsables territoriaux qui n'existaient pas jusqu'ici, des comités de développement territorial en lien direct avec l'ensemble de l'écosystème du territoire : associations, État, etc...

A Lyon, la fusion entre les deux territoires de Lyon et de Saint-Etienne Roanne a justement été amorcée en 2016, mais faisait également partie des défis à conduire. Comment s'est comporté ce nouveau navire durant cette crise ?

Cette pandémie a aussi renforcé la nouvelle entité car si nous voulions de la proximité, il fallait aussi nous réinventer. Nous étions sur un territoire à la fois dense et large, il nous a donc fallu approcher les choses de manière différente et être plus pragmatique.

Le fait que Saint-Étienne et Lyon se soient regroupés a constitué un élément fédérateur, et ensuite, nous sommes allés chercher une nouvelle logique, en considérant que nos ressortissants étaient aujourd'hui des clients.

Au lieu de leur préconiser des services et des solutions, nous avons inversé la donne en choisissant d'aller voir d'abord nos 40.000 contacts afin de réaliser un diagnostic et de le mettre en perspective, avant de proposer nos solutions, services et mises en relation.

Après presque deux années de crise sanitaire, constatez-vous justement que les besoins des entreprises en matière d'accompagnement ont évolué ?

Bien entendu, des axes comme la transition numérique et environnementale sont deux éléments qui se sont renforcés, même si le recrutement reste la priorité n°1 des entreprises aujourd'hui. Les besoins sont très forts et dans certains domaines comme la restauration, les salariés ont carrément parfois changé de secteur, tandis que dans les services où l'industrie, l'enjeu du recrutement demeure une préoccupation majeure.

Nous avons bien entendu à ce sujet des contacts avec des acteurs comme Pôle emploi, et nous réfléchissons actuellement à la manière dont nous pouvons contribuer à fluidifier ce nouveau champ, qui ne faisait pas vraiment partie de nos compétences auparavant. Et ce, toujours dans une logique de répondre à la demande que nous percevons à l'échelle du territoire. Car si l'on passe à côté, on ne sera pas au rendez-vous pour nos clients, même s'il s'agit d'un sujet colossal.

Les CCI étaient également aux manettes du champs de la formation continue : comment ce sujet s'intègre-t-il aujourd'hui dans votre nouveau modèle et sous quelle forme ?

Nous avons aujourd'hui finalisé l'ensemble de notre formation continue et initiale, à travers deux entités qui sont devenues opérantes depuis juillet 2021. Cela aboutit à la création d'une SAS sous forme d'entreprise classique, qui nous permet d'assurer un fonctionnement plus léger que le système consulaire.

Toutes nos ressources dédiées à la formation ont été transférées sous l'égide de ce statut privé, ce qui représente 50 personnes pour les équipes de formation continue et environ 40 personnes pour l'EmLyon. Notre objectif est bel et bien de proposer des formations continue à une sauce plus moderne.

Au sein de votre nouvelle feuille de route, figurera un projet emblématique de nouveau Campus dédié à la sécurité ?

Nous souhaitons en effet amorcer, durant cette mandature, notre projet de campus de la sécurité à Ecully : il s'agit d'un projet très structurant où nous avons reçu des échos favorables de l'ensemble des instances locales, comme la Métropole de Lyon, la Région, la Préfecture, le service des armées ou encore la police.

En tant que propriétaire des lieux, qui vont être libérés fin 2023 par l'EmLyon, nous allons désormais voir comment structurer ce projet et mener un travail collaboratif avec l'ensemble des partenaires. Nous allons mettre en place une équipe resserrée à ce sujet à compter de janvier 2022.

Pour l'heure, toutes les solutions sont envisageables car il s'agit d'un projet très ouvert. Nous souhaitons établir quelque chose qui n'existe pas en France ni même en Europe, avec une sorte de Silicon Valley protéiforme. Mais cela, toujours en lien avec les enjeux de sécurité de manière directe ou indirecte, que nous assumons car nous demeurons un organe apolotique.

L'objectif étant de regrouper à la fois un centre de formation de la police scientifique, de la gendarmerie, mais aussi des bâtiments afférents à la sécurité, où des chefs d'entreprise puissent venir trouver une solution et des institutions, s'y implanter. Il s'agit d'un choix structurant pour notre territoire.

Est-ce également une manière de consolider la présence d'Interpol, un dossier sur lequel un bras de fer s'est engagé entre le ministère de l'Intérieur et la ville et métropole EELV de Lyon ?

Il s'agirait d'une première avancée, et à ce jour il n'existe aucune fin de non-recevoir sur ce dossier. L'ensemble des acteurs a été consulté.

Vous aviez également acté, au cours du dernier mandat, un plan de 100 départs sur un effectif total désormais établi à 350 collaborateurs à l'échelle de vos trois territoires (Lyon, Saint-Etienne, Roanne). Ce chantier RH, mené en pleine crise sanitaire et dont vous aviez rappelé la nécessité, est désormais terminé sans grand bruit ?

Nous avons finalisé ce plan avec beaucoup d'élégance et dans le respect des personnes. Forcément, il existe toujours des cas où cela demeure plus compliqué à gérer humainement, mais on s'est aperçu que d'autres avaient, au contraire, nourris de vrais projets de création d'entreprise, tandis que nous avons réalisé un accompagnement fort et la mise à disposition de coachs, ainsi que de budgets formation individuels renforcés.

Je suis assez fier de ce qui a été fait, même si c'est toujours un échec en bout de ligne, que de devoir mener un tel plan. Mais dans ce contexte, la politique de l'autruche aurait été beaucoup plus mortifère.

Celui-ci est de plus arrivé en pleine crise, mais cela ne nous a pas empêché d'embaucher, en parallèle, de nouvelles recrues pour développer notamment une cellule d'innovation unique en France, pour un organe consulaire comme le nôtre, et qui allie désormais la démarche commerciale et marketing.

La CCI métropolitaine est également actionnaire de plusieurs institutions lyonnaises comme l'Aéroport de Lyon Saint-Exupéry, l'espace de congrès Eurexpo, deux secteurs qui ont été fortement perturbés par la crise actuelle... Comment se profile leur reprise, quelles ont été les actions engagées pour les maintenir à flots ?

Nous sommes toujours au capital de l'aéroport à hauteur de 25 %, ainsi qu'à Eurexpo (à hauteur de 53% du capital de la SEPEL, qui est la société d'exploitation d'Eurexpo, ndlr). Et la situation est simple : nous sommes passés pour notre part de revenus substantiels à hauteur de plusieurs millions d'euros à zéro d'un seul coup.

Cela fait tout de même un choc, mais nous avons depuis remis les choses en ordre de marche afin que de ne plus être à la merci de dividendes, qui sont une bonne chose pour se développer, mais qui ne permettent pas de le faire structurellement.

Nous demeurons cependant très prudents sur les prévisions, même si nous estimons que nous devrions revenir à l'équilibre au cours du premier semestre 2023.

Quelles ont été les actions concrètes pour mener ce retour à l'équilibre ?

Nous avons utilisé l'ensemble des instruments disponibles et à bon escient, et nous sommes aujourd'hui capables de réinvestir comme avant sur le fonds d'industrialisation, aux côtés de la Métropole et de la Région. L'ensemble de notre processus de transformation de la CCI nous a permis de revenir avec les clignotants au vert, et d'être en mesure participer à un fonds d'amorçage industriel, à hauteur d'un million d'euros, ce qui n'est pas banal.

Sur le plan du tissu économique, vous représentez notamment les commerces, qui ont été fortement fragilisés par les confinements : quelle est la situation actuelle des commerces lyonnais, alors que le taux d'incidence vient de doubler à Lyon et que l'on parle actuellement d'une cinquième vague ? Etes-vous inquiet pour les mois à venir ?

Je suis forcément vigilant, même si je sais que nous sommes aujourd'hui mieux armés avec la vaccination ainsi que le pass sanitaire.  À l'heure actuelle, je ne pense pas que nous nous dirigions en France vers un nouveau confinement, même si bien malin est celui qui pourra dire ce qu'il se passera...

Du côté des entreprises, notre baromètre mensuel nous indique qu'elles ont globalement bien tenu, et que leurs préoccupations demeurent l'augmentation du prix des matières premières pour l'ensemble des activités. C'est logique, lorsque l'on sait que ces entreprises ont des liens avec l'export et utilisent pour cela des containers, dont les prix ont grimpé 1.000 à 8.000 voire 10.000 dollars...

Ce n'est tout simplement pas tenable. Mais face à l'adversité, on constate que les entreprises françaises et notamment les chefs d'entreprise se sont tournés vers l'innovation, en testant de nouvelles voies ou en essayant des innovations qu'ils n'auraient pas forcément abordées auparavant. Cette crise nous aura donné la capacité à sortir du cadre.

Côté transports, l'aéroport de Lyon Saint-Exupéry que nous venons d'évoquer, demeure lui aussi un équipement structurant pour l'attractivité de la métropole lyonnaise. Quelles seront les axes de développement envisagés post-crise, alors que le trafic peine à reprendre des couleurs à l'échelle internationale ?

Nous allons l'accompagner de la même manière qu'auparavant, c'est-à-dire à la fois dans le développement de lignes qui pourrait être judicieux, mais également en nous plaçant en position de partenaires avec le réseau Vinci.

Car même si les besoins des entreprises se modulent un peu avec l'essor du télétravail, l'aéroport de Lyon reste un outil de développement économique très précieux.

C'est d'ailleurs également l'un des sujets que nous travaillons en lien avec l'Aderly (l'Agence pour le Développement Economique de la Région Lyonnaise), et où il existe aujourd'hui des points de synergies et de compréhension. Nous avons trouvé le bon équilibre à ce sujet avec les nouvelles équipes, même si sur d'autres, cela demeure plus compliqué.

Autre sujet phare en matière de transports sur la scène lyonnaise : l'Etoile Ferroviaire lyonnaise et le dossier ,vieux d'une décennie déjà, de la LGV Lyon-Turin. La CCI soutient ces deux projets, les points bloquants aujourd'hui sont-ils uniquement d'ordre financier ou politique ?

Concernant le noeud ferroviaire lyonnais, nous sommes pour et toutes les entreprises que nous avons consulté le sont également. Mais nous regardons également plus largement le sujet, avec l'ensemble des solutions qui pourrait être proposées pour fluidifier les transports, y compris des modes comme le fluvial.

Nous sommes ouverts à différentes logiques, et l'on voit qu'il existe aujourd'hui des sujets matures et d'autres, où il faudra certainement passer plus de temps. C'est un peu comme pour l'aéroport : tout le monde résonne comme si seul un projet d'extension permettrait l'ouverture de nouvelles pistes, alors qu'il est également possible de densifier tout d'abord les rotations. Nous avons encore une marge de manœuvre conséquente, qu'il est possible de coupler à d'autres dispositifs.

Et concernant le dossier de Lyon-Turin, nous demeurons très attentifs et nous étudions la possibilité d'un rapprochement avec les CCI italiennes, afin de voir comment densifier les échanges. Car le domaine du ferroviaire comme du fret fonctionne un peu comme le corps humain : plus on multiplie les vaisseaux sanguins, mieux on est irrigués.

Les nouvelles municipalités écologistes et notamment l'équipe de Bruno Bernard au Grand Lyon a porté sur le devant de la scène des sujets emblématiques comme la zone à faibles émissions (ZFE), l'encadrement des loyers qui concernent et même inquiètent une partie du monde économique... Comment vous situez-vous à ce sujet ? Le dialogue avec la CCI est-il amorcé ?

Il s'agit en effet de sujets importants qui sont sur la table, et sur lesquels la métropole a même missionné la chambre des métiers (CMA) et la CCI afin d'expliquer les tenants et les aboutissants de ces projets aux entreprises.

Nous avons démarré ce chantier, et notre préoccupation ira notamment vers ces modes de mobilité, où il n'existe aujourd'hui pas encore d'alternative, ainsi qu'un timing jugé assez drastique, mais sur lequel des discussions sont engagées, concernant des aménagements ou des dérogations. Il existe à ce sujet une vraie volonté de travailler en commun, en sachant que nous nous plaçons toujours sur un versant apolitique.

Cette nouvelle gouvernance EELV a porté d'ailleurs la thématique de l'industrie au centre de ses priorités au cours des derniers mois, alors qu'elle n'était pas nécessairement "attendue" à ce sujet. Est-ce une preuve de l'adaptation et de la compréhension de son écosystème local ?

Je pense qu'il s'agissait de nouvelles équipes, qui ont dû prendre le temps de comprendre les rouages du territoire. Et l'on voit bien que si aujourd'hui, on faisait fi de l'industrie, il y aurait des conséquences, d'autant plus qu'il s'agit d'acteurs essentiels pour rentrer dans des logiques d'économie circulaire, où les entreprises sont déjà parties-prenantes.

A l'exception simplement qu'actuellement, ça pousse un peu plus fort pour aller peu plus vite. De notre côté, nous nous plaçons au centre, en jouant un rôle d'intermédiaire.

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Commentaire 1
à écrit le 24/11/2021 à 9:13
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Quelle belle victoire pour cette liste unique ! Pourtant avec moins de 10% de taux de participation des entreprises au scrutin, on est en droit de se demander quelle est la représentativité de ces 100 élus ! La CCI communique partout sur 40 000 ent...

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