Levées de fonds : Auvergne Rhône-Alpes conservera-t-elle son rang face à la poussée des autres territoires ?

DECRYPTAGE. En ce début d'année, les classements pleuvent sur le monde de la Tech. En Auvergne Rhône-Alpes, ce sont même trois baromètres qui tentent de mesurer le dynamisme des levées de fonds sur l'année écoulée. Une chose est sure : si l'écosystème French Tech bleu-blanc-rouge a, pour la seconde année consécutive, connu une année exceptionnelle, la région Auvergne Rhône-Alpes a elle aussi confirmé son dynamisme. Bien que challengée par la progression des autres territoires (et par une levée record de 294 millions enregistrée dans les Hauts-de-France), son périmètre semble lui offrir une assise suffisante pour demeurer dans la course.
En parvenant à lever entre 700 à 841 millions d'euros (selon les décomptes) en 2022, la région Auvergne Rhône-Alpes a certes assis une nouvelle fois sa progression par rapport à 2021. Mais conservera-t-elle pour autant son rang au sein des classements annuels ? Eléments de réponse en trois études.
En parvenant à lever entre 700 à 841 millions d'euros (selon les décomptes) en 2022, la région Auvergne Rhône-Alpes a certes assis une nouvelle fois sa progression par rapport à 2021. Mais conservera-t-elle pour autant son rang au sein des classements annuels ? Eléments de réponse en trois études. (Crédits : DR)

Chaque année, les classements des levées de fonds se suivent et se ressemblent. Et leurs critères apportent également quelques sueurs froides à ceux qui tenteraient de les comparer. Car entre les cabinets EY, KPMG et In Extenso Croissance (associé à l'ESSEC Business School), la scène de la Tech régionale a, une fois encore, été scrutée pour l'envergure et le poids de ses levées en 2022.

Avec, pour commencer, le classement du cabinet EY, qui a pour habitude de donner « le la » sur la scène de l'investissement. Et à l'heure où la France a d'ores et déjà brillé par sa résilience, en enregistrant 13,5 milliards d'euros levés par 735 sociétés (soit une progression en valeur de 17% en valeur, mais une baisse de 6% en volume), la région Auvergne Rhône-Alpes « surperformerait » même par rapport à la moyenne nationale, en totalisant 841 millions d'euros levés à travers 77 opérations, selon le dernier décompte d'EY.

Ce qui représente une croissance de +25% des opérations en valeur, et de +8% en volume, puisqu'elle avait comptabilisé 670 millions au sein de 71 opérations en 2021.

« Il est quand même intéressant de noter qu'alors qu'un ralentissement en volume est observé à l'échelle nationale, ce n'est pas le cas pour AURA, qui reste une région attractive pour les levées de fonds. De même, la tendance, plus calme sur le second semestre à l'échelle nationale, ne se vérifie pas non plus sur la région, avec des opérations significatives qui ont été bouclées sur la deuxième moitié de 2022 comme celle de Verkor, Iten ou Mablink », note le cabinet EY.

Pourtant, l'une des premières surprises proviendra du classement, puisque si chaque année la région Auvergne Rhône-Alpes se pose comme une habituée de la seconde place du podium à l'échelle nationale, l'année 2022 a marqué une exception au sein de ce baromètre. Avec en exergue, la méga levée de 294 millions d'euros de la société Exotec (335 millions de dollars), qui a propulsé de fait les Hauts-de-France sur la deuxième marche, avec un total de 979 millions d'euros de fonds levés...

Premier scénario : Auvergne Rhône-Alpes glisse à la 3e place, mais...

Pour autant, Loïc Jeambrun, avocat associé d'EY et responsable du groupe Entreprises en Croissance Auvergne Rhône-Alpes, parle plutôt d'un « effet d'opportunité » :

« Auvergne Rhône-Alpes peut légitimement regagner sa seconde place dès l'an prochain, car c'est globalement un classement où l'on retrouve aujourd'hui trois catégories : la Ligue des champions avec l'Ile-de-France, la Première ligue avec Auvergne Rhône-Alpes et les Hauts-de-France, puis la Coupe de France avec les autres régions. »

Car selon lui, malgré les fortes progressions enregistrées sur d'autres territoires, il rappelle que le top 3 des levées réalisées en Auvergne Rhône-Alpes (avec les 250 millions de Verkor, 80 millions d'Iten et 48 millions d'Unity Sc) reste difficile à atteindre par d'autres régions comme la Nouvelle-Aquitaine, qui est certes, allée jusqu'à tripler cette année son assise financière (avec un top 3 composé de levées à 50, 70 et 100 millions d'euros), mais pour un total de 577 millions d'euros, selon le baromètre EY.

Pour la première fois, les trois plus grosses levées comptabilisées en Auvergne Rhône-Alpes reposent sur le secteur industriel : avec deux jeunes pousses du domaine des batteries (Verkor, Iten) et une du domaine des semiconducteurs (Unity Sc). « C'est une tendance intéressante à mettre en avant dans une période où l'on parle de réindustrialisation d'actifs stratégiques », avance Loïc Jeambrun.

Plus largement, EY repère que les trois secteurs qui ont tiré l'année 2022 en région sont ceux des cleantech (incluant les batteries) qui représente 36% de l'enveloppe totale levée, suivi par les technologies (20%) et sciences de la vie (13%), qui demeure aussi l'une des forces du tissu régional.

Deuxième scénario : entre 700 millions et 742 millions

Côté KPMG, la dernière étude sur les levées de fonds menées en 2022 acte elle aussi d'une belle progression en Auvergne Rhône-Alpes, bien plus forte que chez son confrère EY, puisqu'elle comptabilise 742 millions d'euros récoltés à travers 33 opérations en 2022, contre seulement 364 millions retenus, et issus de 21 opérations au cours de l'année précédente...

« On parle ainsi d'un quasi doublement des chiffres », annonce Jean-Pierre Valensi, associé et responsable Capital Markets chez KPMG alors qu'au sein de ce classement, Auvergne Rhône-Alpes conserverait ainsi la deuxième place du podium, face à une région Hauts-de-France, qui lève 640 millions d'euros au total (dossier Exotec compris).

A noter que le baromètre KPMG s'avère plus restrictif que d'autres confrères, en ne retenant que les levées de fonds menées en equity -hors dette bancaire-, d'un ticket d'entrée supérieur à 3 millions d'euros, et menées qui plus est sur des sociétés technologiques indépendantes.

Dans son top 3, figure ainsi pour l'année 2022 l'opération de l'assureur pour le marché animal SantéVet (150 millions), du fournisseur d'électricité verte GreenYellow (200 millions levés dont 109 millions d'obligations convertibles en actions retenus), mais aussi du concepteur lyonnais de micro-batteries, Iten (80 millions). Et de noter que contrairement à d'autres territoires, la Région Auvergne Rhône-Alpes « tient son rang » et continue d'enregistrer cette année « plusieurs opérations de très bon niveau, qui justifient sa progression. »

De son côté, le baromètre du cabinet In Extenso Croissance, mené conjointement avec l'ESSEC Business School, retiendra quant à lui plutôt un cumul de près de 700 millions d'euros levés en Auvergne Rhône-Alpes à travers 97 opérations en 2022. Soit une croissance de +45% en montant levé et +33% en nombre d'opérations par rapport aux données de l'année précédente.

Avec un top 3 composé quant à lui d'Iten (80 millions), Diabeloop (70 millions), Unity Sc (48 millions), et suivi de Fifteen (40 millions) et Navya (36 millions). Lui non plus ne compte pas la levée de 250 millions de l'isérois Verkor, en raison des fonds considérés hors du champs du capital développement (soit 50 millions de l'Etat, 49 millions de la BEI, et des obligations convertibles pour 60 millions).

Ici aussi, la région Auvergne Rhône-Alpes terminera finalement l'année à la seconde marche du podium comme à son habitude, «même s'il est certain que le classement annuel demeure très dépendant du calendrier des annonces. On voit bien que des levées importantes peuvent survenir et bouleverser la scène à un instant T, comme celle d'Exotec par exemple », rappelle Nicolas Forey, associé et directeur du marché Auvergne Rhône-Alpes pour In Extenso Croissance, qui plaide plutôt pour l'étude des grandes tendances sur plusieurs années, où « la Région AURA n'est alors plus inquiétée par les scores des autres territoires. »

« Même si l'on prend le cas de 2022, Auvergne Rhône-Alpes réalise par exemple 5 fois et demi moins d'opérations que l'Ile-de-France, qui reste en tête à l'échelle nationale de 10 des 13,6 milliards levés au cours de l'année écoulée, mais elle fait aussi deux fois mieux que la Nouvelle-Aquitaine par exemple, qui comptabilise 55 opérations. On voit donc qu'il existe encore un grand écart », ajoute-t-il.

Cap sur 2023, avec prudence

Pour 2023 cependant, tous les analystes sont formels : le ralentissement des investissements, observé sur la scène nationale depuis quelques mois, devrait se poursuivre, au moins sur le premier semestre 2023.

« L'année 2022 était une année intermédiaire, entre un cru 2021 très actif, et une année 2023 où l'on sent que les investisseurs vont devenir plus sélectifs et rechercher davantage la profitabilité et les signaux de rentabilité », estime Loïc Jeambrun, associé d'EY.

Il entrevoit cependant la poursuite de nouveaux tours possibles, notamment « dans le domaine des cleantechsqui ont bouclé des opérations en 2021 et auront probablement besoin d'entamer un nouveau cycle en 2023-2024. »

Du côté du cabinet KPMG, Jean-Pierre Valensi nourrit également des doutes sur la clôture de « méga rounds » sur l'année 2023, comme on a pu en voir au cours des douze mois précédents, « notamment car les investisseurs vont rechercher plus de rentabilité et de solidité, avec des business models qui soient générateurs de profits, à court et moyen terme ».

Et d'ajouter : « Il faudra être vigilant à ce que cette tendance ne pose pas tout de même des enjeux de pérennité et plus globalement, d'indépendance de la France, sur des secteurs qui avaient commencé à se structurer et à se financer, afin qu'ils ne soient pas impactés par ce climat au tour suivant. »

Selon lui, la valorisation des acteurs de la Tech, qui chute en raison du contexte économique, ainsi que la tendance à la réorientation de l'épargne vers des produits jugés moins risqués, pourraient ainsi produire un « double effet kiss cool » à surveiller en 2023. Et ce, même s'il entrevoit également d'un autre côté, des signaux positifs avec l'émergence de fonds dédiés et montés pour accompagner les pré-IPO.

Quid des futures licornes de la Tech en région ?

Dans un tel contexte, quid de l'éclosion des licornes tant attendues à l'échelle régionale, depuis le lancement de la French Tech ? Car il faut bien remarquer que cette année encore, aucune des huit nouvelles licornes françaises annoncées n'est auralpine...

A ce sujet, les analystes sont plutôt partagés : car tout dépend encore de ce qu'on appelle une licorne. Pour rappel, la définition communément acceptée recoupe toute startup de moins de dix ans, parvenue au cap symbolique du milliard de dollars de valorisation (souvent à l'issue d'un tour de table dépassant les 100 millions d'euros), et cela, avant même d'entrer en Bourse.

Pour Loïc Jeambrun, cette objectif est atteignable, et pourquoi pas même en 2023 : « On commence à avoir plusieurs candidats avec des levées de fonds importantes qui approchent les 100 millions, comme eCential Robotics, Agicap ou Afyren déjà en 2021 ». Et d'ajouter :

« On a bon espoir d'en voir une émerger en Auvergne Rhône-Alpes en 2023, car si à un moment donné, le secteur industriel pouvait être un champ moins couru dans le domaine d l'innovation, aujourd'hui ce n'est plus le cas et c'est même un atout ».

Selon Jean-Pierre Valensi, à KPMG, « il n'y a d'ailleurs pas de raison non plus qu'Auvergne Rhône-Alpes soit en reste, puisque techniquement, nous avons déjà des acteurs comme GreenYellow (rachetée depuis par Ardian, ndlr) qui sont valorisés à plus d'un milliard... Mais cela prend du temps pour arriver à une forme de maturité suffisante, à construire un business et à de développer à l'international tout en générant des revenus récurrents qui peuvent varier entre les modèles. »

De son côté, Nicolas Forey chez In Extenso Croissance, demeure plus prudent : « Pour moi, la licorne est une combinaison entre une proposition de valeur pertinente, un marché en énorme croissance qui peut justifier d'un besoin, et une valorisation qui dépasse le milliard de dollars. Cette combinaison, qui n'est donc pas évidente, n'est cependant pas nécessairement liée à la région, même s'il pourrait y avoir de belles opportunités dans le domaine de l'énergie ou des semiconducteurs, qui font partie des forces du tissu régional. »

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