RéCAPTensions entre Grégory Doucet et la communauté juive sur l'affaire Hamouri

Lyon : Pourquoi l’affaire Hamouri a-t-elle crispé les relations entre Grégory Doucet et la communauté juive ?

RéCAPAprès plusieurs jours de tension, le maire de Lyon a fini par annuler la table ronde de mercredi, à laquelle devait participer l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri
L'annonce de la venue du franco-palestinien Salah Hamouri à Lyon pour une table-ronde a profondément l'indignation de la communauté juive et fragilisés ses relations avec le maire de Lyon.
L'annonce de la venue du franco-palestinien Salah Hamouri à Lyon pour une table-ronde a profondément l'indignation de la communauté juive et fragilisés ses relations avec le maire de Lyon.  - Abbas Momani /AFP / AFP
Caroline Girardon

Caroline Girardon

L'essentiel

  • La décision est tombée lundi matin : mis dos au mur, le maire de Lyon a finalement annulé à contrecœur la conférence sur la situation des territoires palestiniens trente ans après les Accords d’Oslo, qui devait se tenir mercredi à l’Hôtel de Ville.
  • La venue de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri a profondément indigné la communauté juive.
  • Retour sur quatre jours particulièrement tendus, au cours desquels les relations entre Grégory Doucet et la communauté se sont crispées.

Après plusieurs jours de polémique et de vives tensions, la ville de Lyon a annoncé ce lundi matin qu’elle renonçait à la tenue d’une table ronde prévue mercredi à l’Hôtel de Ville, et à laquelle devait participer l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri. Pas d’autre choix. Une heure avant cette décision, le maire Grégory Doucet a reçu une mise en demeure du préfet délégué pour la défense et la sécurité, lui demandant d’annuler cette conférence pour risque de troubles à l’ordre public, en raison de manifestations et d’affrontements prévisibles.

« Je le fais dans mon rôle de maire qui doit assurer la paix civile et la concorde dans la ville », explique l’élu, regrettant de ne pouvoir « garantir sereinement la liberté d’expression ». Dans la matinée, Grégory Doucet a également adressé un courrier aux responsables religieux de la ville. « J’ai pris la décision, afin de lever toute ambiguïté, de poser par écrit ce qu’il n’est désormais plus possible d’exprimer dans un cadre oral, au regard des réactions et des anathèmes subis par mon équipe », écrit-il. L’occasion de revenir en quatre questions sur cette affaire qui a révolté la communauté juive de Lyon.

De quelle conférence parle-t-on ?

Cette table ronde intitulée « Trente ans après la signature des Accords d’Oslo, regards sur la Palestine » devait être consacrée à « la situation des territoires palestiniens » aujourd’hui. De quoi était-il question ? « D’un échange modéré par un universitaire reconnu actuellement maître de conférences à Sciences po Lyon », répond Grégory Doucet. Plusieurs « experts reconnus dans leur domaine » avaient été conviés. Parmi lesquels un professeur de sociologie, un directeur d’ONG membre du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, un président d’un mouvement mondial pour les droits humains. Mais aussi Salah Hamouri.

« Ces personnes avaient accepté de témoigner de manière universitaire, professionnelle et sensible de la réalité vécue dans les territoires palestiniens » appuie le maire de Lyon, se défendant de toute partialité. Si la communauté juive lui reproche de n’avoir convié aucun représentant officiel d’Israël et d’avoir ainsi alimenté les doutes sur l’état d’esprit de la conférence, l’élu souligne qu' « aucun représentant de l’Autorité palestinienne n’a été invité à cette table ronde », non plus. Ce n’était d’ailleurs pas le but, rappelle-t-il : « Nous n’avons jamais imaginé convier des personnalités officielles afin de ne pas exporter le conflit israélo-palestinien, ici en France. »

Qui est Salah Hamouri ?

Arrêté une première fois en 2005 par les services de sécurité israéliens qui le suspectent d’avoir voulu assassiner le rabbin Ovadia Yosef, chef spirituel du parti religieux d’extrême droite Shass, l’intéressé est condamné à sept ans d’emprisonnement. Libéré en 2011, il entame des études de droit et devient avocat du barreau palestinien, six ans plus tard. Mais en 2017, il est de nouveau placé en détention administrative durant une année. En 2022, dernière arrestation et nouvelle incarcération, « sans accusation formelle » cette fois.

Enfin, le 18 décembre dernier, Salah Hamouri est expulsé d’Israël vers la France contre son gré. L’État hébreu révoque également son permis de résident permanent. Si la France juge cette expulsion « contraire au droit », Amnesty International la condamne fermement, la qualifiant de « déportation ».

« Les conditions de détention et d’expulsion vers la France ont été dénoncées sans discontinuité par les plus hautes autorités de notre République », rappelle encore le maire de Lyon pour justifier cette invitation.

Comment la communauté juive a-t-elle réagi ?

Vendredi, le grand rabbin de Lyon Daniel Dahan a claqué la porte de l’instance « Concorde et Solidarité ». Un acte fort, pour marquer sa vive désapprobation. Ce groupe, qui rassemble les représentants des différents cultes de la ville et dont le but est de promouvoir le dialogue interreligieux, avait été créé par la municipalité de Lyon en 2002, après l’attentat perpétré contre la synagogue de la Duchère.

« Je ne peux donner ma caution morale à des personnes qui, au lieu de promouvoir la paix dans la cité, vont bien au contraire attiser les tensions communautaires », justifie alors Daniel Dahan. Dans la foulée, l’Organisation juive européenne (OJE), qui lutte contre l’antisémitisme, saisit le tribunal administratif de Lyon pour faire suspendre la conférence, au nom de « la neutralité du service public ». Une demande qui a finalement été rejetée lundi par le juge des référés.

Les choses n’en restent pas là. Dimanche, les tensions redoublent à l’occasion de la commémoration de la libération du camp d’Auschwitz. Florence Delaunay, ajointe en charge des droits et de la mémoire, est vivement conspuée au moment de faire son discours. Claude Bloch, dernier rescapé du camp vivant à Lyon, lui tourne le dos en guise de protestation, tandis qu’un participant surgit pour s’emparer du micro et lui intimer de ne pas prononcer le nom de sa mère, ancienne déportée. Sous les huées de la foule, l’élue est contrainte de quitter la place Bellecour avant même la fin de la cérémonie.

« La dernière fois qu’une cérémonie du Souvenir a donné lieu à un tel tumulte dans notre région remonte à ce jour de juillet 1998 où les associations de déportés ont interdit à Charles Millon d’accéder au Mémorial des enfants juifs exterminés d’Izieu après son accord avec le Front national », rappelle Alain Jakubowicz, le président de la Licra (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme) en Rhône-Alpes, dans une lettre ouverte adressée à Grégory Doucet, l’accusant de « déshonorer la ville de Lyon ». « Ce naufrage, vous en êtes le seul et l’unique responsable », ajoute-t-il pour enfoncer le clou.

Les choses vont-elles s’apaiser ?

Le Crif de Lyon, conseil des institutions juives de France, qui avait prévu de tenir une conférence de presse lundi après-midi, s’est finalement ravisé, après l’annonce de l’annulation de cette table ronde. Mais « ne crie pas au triomphalisme ».

Alain Jakubowicz prévient que la « crise ne cessera pas de sitôt ». « J’espère que vous mesurez l’opprobre jeté sur notre ville et due à votre seule inconséquence », lance-t-il à l’intention du maire de Lyon.

De son côté, Grégory Doucet assure qu’il conserve son « amitié » au grand rabbin de Lyon et « à toutes celles et ceux qu’il représente ». « J’espère de tous mes vœux qu’il reconsidérera sa décision, au regard de l’importance du dialogue interreligieux », indique-t-il dans son courrier adressé aux représentants religieux. Mais l’élu annonce également qu’il ne renoncera pas au projet de « décrire, avec toutes les bonnes volontés et les personnes respectueuses du cadre démocratique, la situation réelle en Israël et en Palestine ». Le maire de Lyon a prévu d’organiser de « prochaines rencontres grand public sur cette thématique », d’y convier « des universitaires reconnus, pour certains vivant en Israël » afin de ne « jamais se taire devant des injustices ou des contre-vérités ».

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